Olivier Pinol, de
Interview du 13 octobre 2020, réalisée par rOmain Thouy
- son 1er film : Immortel, ad vitam (Enki Bilal, 2004)
- son 1er gros succès : Schrek le troisième (Chris Miller, 2007)
- son dernier gros succès : Avatar (James Cameron, 2009)
“Comment je suis tombé dans l’industrie de l’animation ? J'ai suivi mon instinct et des mentors.
J’ai eu un parcours scolaire assez atypique et un début de carrière, compliqué. J’ai quitté le cursus général très tôt pour m’orienter vers des études dans le dessin et enchainer sur une formation en communication visuelle. Cela m’a aidé pour entrer dans le milieu de la publicité. Grâce à mes parents, j’ai pu également suivre un parcours scolaire dans le privé, chez Axe Sud. En 1998/99, j’ai découvert la 3D dans une des premières écoles montpelliéraines, Objectif 3D.
Instinctivement, à ce moment-là, j’avais la certitude que je ferais quelque chose dans ce domaine.”L'interview, comme si vous y étiez ©10ruption, 2020
“Une des premières rencontres qui m’a mis le bourdon dans la tête, a été celle de mon premier professeur, qui était aussi le patron d’une école à Marseille (équivalent des beaux arts, mais en mode privé), et qui s’appelle Monsieur Panzani. Il travaillait en tant qu’illustrateur pour des campagnes de publicité en même temps qu’il nous formait. Il nous disait : “vous savez, ce qui est génial dans ce métier, c’est qu’il n’y a pas de règle”. Cela m’avait marqué, car à 17 ans, j’étais plutôt anti système scolaire ! Je crois qu’il voulait dire par là que nous étions libres de nous construire comme nous l’entendions.
Pendant cette période, je vivais dans un 9 m² à Marseille, à côté de la gare. Je me rappelle que c’était très dur : je venais de débarquer dans cette grande métropole, à peine sorti de mon cocon tout chaud montpelliérain. Je devais me trimbaler dans le métro et à pied tous les jours avec mon carton et ma planche en bois (22 kilos !)… Ça m’a forgé le caractère … et les bras !
J’ai finalement choisi de rentrer sur Montpellier en CAP bac pro de communication visuelle. Juste après mes études, j’ai trouvé un premier job dans la grande distribution comme illustrateur pour des imprimés de prêt à porter.”
“En parallèle de ce job, je suivais ma dernière année de 3D, avec un autre mentor qui a beaucoup compté dans mon début de carrière et qui est François Belenguer, le fondateur de l’école Objectif 3D.
Avec ma petite expérience en communication visuelle et la formation en 3D, je m’étais constitué un petit portfolio basique qui m’a permis d’attraper mon premier CDI, à Paris, dans une agence de publicité. Je devais réaliser des interfaces de DVD en 3D. Je me rappelle que nous avions fait les premières interfaces 3D pour la sortie de Final Fantasy, The spirits within (2001) et pour Les rivières pourpres (2000).”
“Je me souviens que lorsque nous étions allés avec l’école voir Toy Story 2 (1999), j’avais dit à François qu’”un jour, j’aurai mon nom écrit au générique d’un film comme ça”.
Mais je sentais bien que ce premier job à Paris n’allait pas m’amener à Toy Story!”
“C’est à ce moment-là que j’ai rencontré mon 3ème mentor, Matthieu Grospiron, qui était superviseur Lighting chez Duran Duboi à Paris, et qui m’avait recruté pour travailler sur “Immortal - Ad Vitam” (2004). Ce fut pour moi l’occasion de me spécialiser en Lumière, avec une courbe d’apprentissage du métier vertigineuse pendant un an ! Mathieu venait de faire La menace Fantôme, chez Lucas, le premier Shrek, chez PDI (Pacific Data Images), et il était de passage en France pour une courte période : sa carrière nous faisait rêver ! Nous sommes devenus amis, et je suis resté jusqu'à la fin du projet : travailler avec Matthieu sur ce film fut pour moi une expérience extraordinaire !
Nous avons gardé contact avec Matthieu. Il me demandait de lui envoyer mes travaux; il me faisait ses retours. En 2005, il m’a appellé des US où il était retourné. Il m’a dit qu’il aimait bien ma dernière démo et qu’il allait la faire passer au service de recrutement de Dreamworks. A ce moment-là, dans ma tête, j’y croyais sans y croire. Et je reçois vraiment un coup de fil de Dreamworks, pendant l’été 2005, alors que j’étais en train de faire des allers retours entre Paris/Montpellier.”
“J’ai décroché le job ! Sur ce, entre Noël 2005 et le jour de l’an, nous avons débarqué en famille à San Francisco. Une nouvelle vie a démarré ! Ce fut comme une très grosse claque au début, mais j’ai réalisé une belle carrière là-bas.”
“J’ai enchaîné ensuite avec la Nouvelle Zélande, pour travailler sur Avatar. Je me souviens quand j’ai vu, en avant-première, les projections des 20 minutes de footage, avec James Cameron : à cet instant, je me suis dit que j’étais assis sur quelque chose qui allait marquer l’histoire. J’ai éprouvé une grande fierté de penser, qu’à mon petit niveau, j’avais contribué, non pas à Avatar 2, 3 4 ou 5, mais à AVATAR! Probablement la même sensation que celle d’avoir bosser sur le Star Wars de 1977 ! Ou sur le premier Toy Story ! Le fait d’avoir participé à ce film m’avait procuré un sentiment d’accomplissement. Même s’il y avait toujours l’envie inassouvie de Pixar…”
“Après cette incroyable expérience, nous sommes rentrés en France.
J’ai donné des cours chez Objectif 3D, mon école du début, j’ai revu François. J’aimais beaucoup enseigner, passer le relais aux jeunes. J’ai rencontré encore pas mal de personnes pendant cette période. Je voulais créer mon studio. Mais avant de le faire, pour exorciser le fantôme Pixar, j’avais quand même envie de postuler chez eux. Je l’ai fait. Je suis allé jusqu’à l’entretien, sur place, aux US. ils m’ont fait une proposition écrite, pour travailler sur Toy Story 3. A cet instant, je venais de réaliser mon rêve ! Et... Et finalement j’ai refusé leur proposition, car j’avais d’autres priorités, comme celle de créer le studio Dwarf : c’était le moment ! C’était il y a 10 ans.”
Comme tu le sais Olivier, chez 10ruption nous aimons bien discuter d’innovation. Peux-tu nous parler des projets innovants qui vous animent en ce moment ?
Chez Dwarf, il y a plusieurs axes d’innovation, mais je vais plutôt en évoquer deux en particuliers.
En ce moment, nous nous attachons à redéfinir les usages dans le studio. Je suis très intéressé par le Cloud et par le studio virtuel. Cela fait 2 ou 3 ans que nous faisons de la veille sur ces sujets.
Olivier parle du studio dans le cloud (8 mn 14 s)
Aujourd’hui, l’infrastructure d’un studio coûte cher avec ses workstations, ses postes lourds, bloqués sur place et assez rigides. La question principale qui nous préoccupe est de trouver comment amener un degré de flexibilité sur site comme il est possible de l’avoir quand on se trouve dans le Cloud.
Ce n’est pas juste l’envie de faire en sorte que chacun travaille de chez lui, non.
J’ai eu l’occasion de visiter le studio Riot Games [studio de développement de jeux vidéo, qui est derrière le célèbre League Of Legends (2009)], aux US, en passant toute une journée sur place, et j’ai trouvé cela oufissime : il y a une flexibilité à 2000 % ! Chacun bosse comme il veut, quand il veut, où il veut. Et le studio marche à merveille.
Donc, à notre échelle, toute proportion gardée, comment pouvons-nous amener de la flexibilité à nos collaborateurs et redéfinir la vie au studio ?
Pour y parvenir, il faut commencer par amener la technologie du Cloud dans le studio, c’est-à-dire investir dans un datacenter et adapter un contrôle de l’IT comme cela se fait en dématérialisé. Il faut mettre en place sur le site un système de postes légers et être ultra agile sur la définition des équipes, des environnements de travail ou encore sur la modularité du travail. Dit comme cela, ça peut paraître superficiel, mais avec ce modèle, il est nécessaire d’avoir un pipeline de production ultra pointu et robuste qui permette une gestion de la data dématérialisée. En contrepartie, cela ouvre de nombreuses perspectives.
Cela t’amène, par exemple, de la flexibilité pour ouvrir un second site dans Montpellier ou dans le nord de la France, ou même à l’étranger, tout en ayant le même pipeline de fabrication: nous sommes complètement “portables”.
Actuellement, avec notre directeur de l’innovation et notre directeur financier, nous préparons notre nouveau business plan avec un prévisionnel à 5 ans pour trouver le bon modèle économique qui nous permettra d’atteindre notre objectif. Nous avons établi une roadmap sur 3 ans.
Nous sommes en pleine réflexion et nous lançons les premières études.
Donc parmi les sujets au coeur de notre innovation, il y a cette plateforme, appelée parfois Studio As A Service. Ce sera la colonne vertébrale de cette flexibilité que nous voulons atteindre. Cela va même plus loin que de parler de pipeline, car il s’agit d’un backbone modulable, qui peut s’adapter en fonction du média ciblé, qui peut amener de la technologie du jeu vidéo, du live action, de l’animation, tout en étant cloud natif.
C’est une des réponses à la question sur le studio de demain.
Cette réflexion date déjà de 2 ou 3 ans. Nous avions discuté à l’époque avec Netflix. Pour te donner un parallèle avec ce que nous essayons de faire, Netflix vient de sortir NetFX (juillet 2020), sa plateforme collaborative pour les effets spéciaux ouverte à ses prestataires.
Pour faire avancer ce projet, nous allons bientôt chercher des fonds pour nous aider à réaliser notre propre plateforme.
Olivier parle du studio Virtuel (3 mn 20 s)
Un autre sujet bouillant chez nous est le studio virtuel. Nous essayons d’amener ce qui se fait dans le live action [prise de vues réelles qui utilise une caméra argentique ou une caméra numérique pour enregistrer en temps réel l'image en mouvement d'un sujet qui se trouve lui aussi réellement en mouvement] dans l’animation. Cela consiste à intégrer des méthodes du live action au travers des technologies de tournage virtuel en utilisant, en autre, la technologie d’Unreal Engine d’Epic Game. Il faut aussi adapter nos processus d’animation.
Nous sommes en train de faire le pont entre les technologies du live action et du jeu vidéo avec celle de l’animation. Cela va apporter une composante complémentaire aux réalisateurs, aux directeurs photographie, aux modeleurs, pour mieux visualiser, par exemple, les décors qu’ils sont en train de fabriquer en réalité virtuelle.
Cela permettra aussi d’anticiper le développement de produits dérivés et d’offrir des expériences complémentaires à l’animation. Nous pourrions, par exemple, proposer en parallèle d’un film d’animation que nous avons réalisé, une expérience immersive en réalité virtuelle dans le même univers en gérant et en réutilisant la même donnée. En capitalisant sur la donnée, nous pouvons la mutualiser pour proposer des produits sur plusieurs média différents.
Nous sommes en train de monter le studio virtuel : je viens juste de commander les kits Headset VIVE Pro. J’ai beaucoup discuté avec notre chef Layout, qui a tourné le Roi Lion de Disney et Jungle book avant de rejoindre Dwarf et qui a une très grande expérience de tournage de ce type. Nous sommes en train de chercher des modèles de fabrication, adaptés d’un point de vue économique, technologique et créatif à une future demande de consommation très spécifique.
Comment portes-tu cette innovation?
J’essaie de voir où nous voulons aller demain. J’apporte mes visions stratégique, business et créative.
François Tarlier est notre directeur innovation du studio. A ce titre, il est en charge des études et de la veille. Il travaille avec d’autres personnes au sein de la R&D, comme Luke Titley, ingénieur logiciel, Belisaire Earl, qui supervise le pipeline de production ou encore Laurent Doit, qui supervise l’infrastructure.
Comment faites-vous pour innover?
Nous avons lancé pas mal de travaux au niveau R&D, mais nous avons pris du retard sur cette phase car nous avons été rattrapé par les obligations de production.
Il a fallu gérer la croissance du studio, digérer les projets qui rentraient, tout en poursuivant nos études R&D. Nous avons dû mettre aussi de côté la partie formation. L’innovation et la formation sont les 2 piliers fondateurs de Dwarf, je crois beaucoup en cela pour l’avenir, autant l’un que l’autre.
Aujourd’hui, 20% de l’équipe permanente du studio est technique. Ingénieurs, technical director, R&D : chacun d’eux participent à l’innovation du studio.
En ce qui concerne ma contribution à la R&D, cela varie beaucoup dans le temps, bien entendu. Cela peut être 50 % ou 70 % de mon temps. En général, je vais passer plus de temps au début pour partager la vision et la direction à suivre. Car derrière tout cela, il y a une volonté de se positionner sur un marché, il ne faut surtout pas l’oublier !
Aujourd’hui, si nous sommes très bien positionnés sur le marché de la série Premium, c’est grâce à nos choix antérieurs. Pour en arriver là, mon rôle, à l’époque, avait été de dire : “ok, nous faisons de la publicité, mais c’est du court terme, nous manquons de visibilité sur le moyen et plus long terme”. Nous avons alors fait de la série d’animation, et là, je me suis dit qu’il fallait faire de la qualité. C’était juste avant l’explosion Netflix : nous n’imaginions pas, à l’époque, une plateforme qui pourrait financer, en animation, 6 longs métrages par an, 90 séries en développement. J’avais dit à mes équipes qu’il fallait absolument aller sur la série Premium, parce qu’il y allait avoir de la demande. Aujourd’hui, nous sommes dans le top ten monde en premium content de séries pour plateforme de diffusion.
Nous venons de terminer Trash Trucks (sortie prévue sur Netflix le 10 novembre 2020), une série preschool ultra premium très jolie et très bien écrite.
Pour faciliter les échanges, au sein du studio, nous avons mis en place des systèmes de partages basés sur la suite Sharepoint 365. Elle est composée de supers outils. Nous partageons et capitalisons toutes nos idées dessus et tout est accessible tout le temps par toutes les équipes internes. On y retrouve dessus des thématiques de production, de pipeline, d’innovation et R&D, etc..
Nous avons pas mal de sujets que nous sommes en train de prioriser. Avec mes directeurs, je participe à cette priorisation, notamment pour la vision business.
Pour innover, il faut essayer et tester. Nous sommes en plein dedans avec le POC du studio virtuel dont je t’ai parlé tout à l’heure. Nous allons faire des POC hardware. Par exemple, quand le confinement nous est tombé dessus en mars dernier, cela faisait 2 ans que nous étions en train de tester des solutions de virtualisation de poste : heureusement que nous avions fait ces tests, parce qu‘en 2 mois, de mars à fin avril, nous avons réussi à mettre tout le monde en télétravail avec les solutions de nos partenaires de Dell et les Wise box. Laurent avait fait un travail en amont sur la sécurité et la manière de connecter les collaborateurs de l’extérieur vers l’intérieur. Nous avons triplé la bande passante du studio et nous avons pu connecter 150 personnes en 2 mois et rendre le studio opérationnel.
Comment stimulez-vous l’innovation chez Dwarf Animation?
Parce qu’il n’y a pas qu’une innovation technologique, nous avions lancé, en interne, le challenge du court métrage. Chacun pouvait proposer et pitcher une idée ou un concept de court métrage, et après une sélection, le studio se proposait de produire un ou deux des projets proposés.
Afin de mieux équilibrer nos réponses aux enjeux, nous avons restructuré Dwarf.
Dwarf Entertainment est la maison mère : elle a le rôle de producteur délégué et la responsabilité du développement créatif. Dwarf Animation est sa filiale de production exécutive (c'est l'outil de fabrication). Dwarf technology est la seconde filiale dédiée aux aspects innovation et R&D.
Pour encourager les équipes, je suis en train de réfléchir à des modèles d’intéressement des collaborateurs aux différents aspects de développement du studio.
Pour stimuler l’innovation, il n’y a rien de mieux que de participer à des salons. L’année dernière, je suis partie avec mon équipe au SIGGRAPH à Los Angeles; nous avons rencontré tous les acteurs de notre domaine, comme les gens de Unreal, de Pixar’s RenderMan.
Chaque année, grâce au SIGGRAPH, entre autre, tu peux te tenir au courant des dernières innovations de cette industrie dans le monde.
Pour l’innovation créative, un autre festival qui compte pour nous est le Festival du Film d’Animation d’Annecy.
Quand tu te préoccupes d’innovation, il est important de rester au contact du monde académique, et pour cela, nous sommes assez proches du LIRMM (Laboratoire d'Informatique, de Robotique et de Microélectronique de Montpellier). Nous amenons l’univers de l’animation au sein du Laboratoire qui, historiquement, est plus orienté vers le jeu vidéo. Nous avons recruté 2 ou 3 personnes du LIRMM ou de l’IRIT (Institut de Recherche en Informatique de Toulouse), qui étaient en master. Nous intervenons aussi dans les universités sur des sujets ou des modules particuliers. Nous accueillons régulièrement des stagiaires au sein du studio.
Nous n’avons pas encore de partenariat de recherche établi, mais c’est quelque chose que nous voudrions faire avec les projets d’innovation en cours ou à venir.
Un petit scoop, sur le futur proche?
En ce moment, nous sommes en train de travailler sur une future série qui sera diffusée sur Netflix : une belle aventure de chasseur de primes intergalactique qui s’adresse à toute la famille !
Pour en savoir plus sur la création du studio, je vous recommande d’écouter le très intéressant Podcast de CGWhy consacré à l’histoire de Dwarf Animation Studio et présenté par Le Doc, Pez et Néo :
Merci Olivier, d’avoir partagé ta vision sur l’innovation.
Très bonne continuation !