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mardi 16 juin 2020

Parlons d'innovation avec...

Sarah Beaulieu, scénariste multisupport


Interview du 4 juin 2020, réalisée par rOmain Thouy


35ème article d’une série d’interviews réalisés sur la gestion de l’innovation dans le domaine des industries créatives (jeux vidéo, films d’animation) de la région Occitanie.

Sarah Beaulieu
Sarah Beaulieu est scénariste multisupport, auteur et metteur en scène. Comme elle le dit elle-même sur son blog, Sarah écrit et met en scène “des histoires pour l’écran, pour la scène, pour le papier, pour des formats interactifs ou hybrides”. Et en ce moment, elle est Script Writer sur Beyond Good & Evil 2 (Ubisoft).

Formation : Licence Arts du Spectacle et Cinéma, en 2005, à l’université Lumière Lyon 2; Master en 2 ans Scénarisation de contenus audiovisuels multi-support, transmédia (la première année) et Audiovisuel, media interactifs numériques, jeux, avec une spécialisation sur les Écritures interactives (la seconde année).
  • sa 1ère réalisation : la pièce de théâtre "Le Fou, la Tour et le Cavalier"
  • son 1er gros succès : la pièce de théâtre "Les Ancêtres Dungton"
  • son dernier gros succès : la pièce de théâtre "Les Ancêtres Dungton"
"Mon métier, c’est scénariste. Avec le temps, j’ai un peu reformulé l’intitulé en “scénariste multisupport” - c’est à dire que j’écris pour différents supports, différents médias. Je suis partie de la littérature, car ce que je voulais simplement, c’était écrire des romans. Mais c’était un objectif qui, à l’époque et toujours maintenant, me paraissait difficile à atteindre, et un peu flou. Du coup, je me suis dirigée vers une formation Arts du Spectacle et Cinéma, en 2005, à l’université Lumière Lyon 2. Après ma licence, je suis partie sur Paris, dans la “ville des rêves perdus” (comme l’appellent parfois ceux qui montent là-bas en espérant percer dans le milieu du cinéma), pour devenir scénariste.
"Très difficile de démarrer à Paris quand tu débarques sans connaître personne et que tu n’as pas de réseau. L’avantage de la fac, c’est qu’elle est accessible à tous, mais son inconvénient, en tout cas pour le métier de scénariste, c’est qu’elle reste très peu professionnalisante : quand il faut passer à la pratique, ensuite, c’est une autre histoire.

"A cette époque là, j’ai commencé à travailler sur des tournages, notamment comme assistante effets spéciaux plateau, pour voir comment fonctionnait réellement une équipe de tournage. Par ailleurs, je voulais aussi apprendre à travailler avec des comédiens, car je n’envisageais pas à ce moment-là d’être uniquement scénariste. Je voulais aussi devenir réalisatrice : il me paraissait impensable de confier mon scénario à quelqu’un d’autre ! Mais, même si j’aime toujours autant travailler avec des comédiens aujourd’hui, j’ai très vite abandonné cette idée, car la réalisation, c’est un autre métier, et ce n’est pas ce qui m’intéresse le plus. Même s’il m’arrive encore de faire des petits films dans mon coin, je ne veux plus en faire un métier.

"J’ai fait plein de petits boulots pendant plusieurs années, et, en parallèle, j’ai cherché un mentor, car j’avais besoin de trouver des modèles avec qui travailler, qui auraient pu m’apprendre le côté plus artisanal du métier : avoir de l’imagination et gratter du papier ne suffisent pas, il y a des règles à connaître avant de pouvoir jouer avec et éventuellement les transgresser... Je n’ai pas trouvé de mentor, ce que je regrette toujours, mais j’ai continué à me former sur le tas.

"Je suis rapidement revenue à Lyon, parce que c’est ma ville, et que c’est une ville en plein développement, notamment au niveau cinématographique, mais pas uniquement (je crois que Lyon est la ville qui a le plus de théâtres par rapport au nombre d’habitants) ; c’est un endroit vraiment formidable sur le plan culturel. Il y a beaucoup d’acteurs du cinéma émergent, des gens qui commencent et continuent leur carrière ici. Dans ce domaine, Lyon est la ville des possibles.

"C’est dans le théâtre que j’ai poursuivi ma carrière sur Lyon, alors qu’à la base, je n’avais pas prévu d’écrire pour ce format, en tout cas pas dans l’immédiat. Je voulais plutôt faire de l’assistanat mise en scène pour continuer à travailler avec des comédiens. L’opportunité est venue d’un metteur en scène, également responsable d’un petit théâtre, qui m’a dit qu’il ne cherchait pas d'assistant metteur en scène, mais plutôt un nouvel auteur pour la programmation de sa prochaine saison. L’écriture de pièces m’intéressait (tous les supports pour raconter des histoires m’intéressent…), mais je n’avais pas vraiment l’intention de faire cela tout de suite : c’est un énorme travail d’écrire une pièce. Même si je n’avais que deux mois devant moi, je m’y suis mise.

"Après l’avoir lue, le metteur en scène m’a dit “Ok, tu la mets en scène dans quelques mois”. J’ai donc enchaîné sur ma première mise en scène de cette pièce écrite en si peu de temps, “Le Fou, la Tour et le Cavalier” …




 
"Et j’ai adoré l’expérience ! A tel point que j’ai recommencé, dans le même théâtre, l’année suivante, avec une seconde pièce : “Les Ancêtres Dungton”.





 
"Cette période a été formidable, à tous les niveaux (à l’écriture comme à la mise en scène). Elle m’a permise, par ailleurs, d’étoffer mon réseau et d’avoir de plus en plus de contrats payés par la suite : il m’a fallu 7 ans avant de pouvoir vivre correctement de mon métier.

"Pendant que j’expérimentais le théâtre, je n’ai pas délaissé le cinéma pour autant. À cette époque là, j’avais une obsession qui commençait à émerger : la VR [Virtual Reality] et les jeux vidéo. C’étaient des formes d’écriture qui me tentaient vraiment : j’avais envie de supports interactifs. Mais le monde du jeu vidéo et du numérique en général sont des mondes différents du cinéma et du théâtre, même s’il y a de nombreuses passerelles, surtout au niveau de l’écriture.

"Pour m’aider à rentrer dans ce domaine, j’ai donc repris des études, 8 ans après ma licence, en faisant un master en 2 ans : Scénarisation de contenus audiovisuels multi-support, transmédia (la première année) et Audiovisuel, media interactifs numériques, jeux, avec une spécialisation sur les Écritures interactives (la seconde année). J’y ai appris ce qu’était le transmédia, les nouvelles écritures, comme les Alternate Reality Games (ARG), les jeux vidéos et les nouvelles formes de jeux numériques, les webs fictions, les webs documentaires : plein de formats d’écriture différents de ce que j’avais l’habitude de faire. J’ai pu aborder aussi, par le biais du transmédia, la question de la création de mondes. Je suis une grosse lectrice de Science Fiction, je lis aussi de la fantasy, et je voulais comprendre comment des auteurs comme Asimov ou Tolkien avaient pu appréhender la création de leurs mondes fictionnels. Cela me fascinait, et me fascine encore aujourd’hui !
   
"Après mon master, j’ai commencé une thèse, que je n’ai pas terminée car je n’ai pas pu la contractualiser avec un studio. La recherche est passionnante (et nécessaire) pour moi parce qu’elle permet de passer un long moment à réfléchir sur un sujet très précis dans un domaine encore plus précis. Mais le monde académique, par essence, avance plus lentement que le monde professionnel et il y a souvent un vrai décalage lorsque l’on fait partie des deux mondes et que l’on essaie de naviguer entre les deux. C’est à cette époque que j’ai commencé aussi à donner des cours. C’était une expérience aussi géniale que terrorisante, durant laquelle j’ai appris autant que mes élèves !

"À peu près à la même époque (2016-2017), j’ai commencé à travailler sur des contrats de relecture de scénarios ou de script doctoring. Pour ceux qui ne connaissent pas le métier de lecteur de scénario, c’est la personne à qui les boîtes de production, les festivals, les résidences d’écriture, les scénaristes ou réalisateurs indépendants vont envoyer un scénario de court ou de long-métrage. Je vais remplir une fiche de lecture, plus ou moins longue, avec mon avis de lectrice, les endroits où, selon moi, il y a des faiblesses ou des forces. Il peut y avoir ensuite une seconde étape, où on me demande de proposer des pistes de réécriture : j’essaie de diagnostiquer les problèmes du scénario et de proposer des solutions. C’est quand on commence à rentrer dans cette phase de réécriture avec l’auteur qu’on se retrouve à faire du script doctoring.

"C’est un travail intéressant car il permet de progresser soi-même. Tu prends du recul sur ta propre façon d’écrire, tu te rends compte que ce que tu repères directement chez les autres, tu le fais aussi. Par la suite, quand tu te replonges dans tes scénarios, tu comprends mieux pourquoi ce que tu as écrit ne fonctionne pas.Tu repères plus facilement les erreurs communes que tu as faites. Tu deviens un bien meilleur relecteur pour tes propres projets !

"C’est aussi à cette époque que j’ai commencé à travailler dans le monde du jeu vidéo. Plus exactement, chez Old Skull Games, un studio Lyonnais qui cherchait au départ un Cinematic designer pour un jeu mobile. Je suis joueuse, plutôt de RPG (Role Player Game), point & click et autres puzzle games, et tous les story-driven games que je peux trouver. C’est indispensable pour être scénariste dans le jeu vidéo ! Venant tout droit du cinéma, j’avais trouvé que ce poste pouvait être une très bonne porte d’entrée dans ce domaine. Il s’est avéré qu’ils cherchaient aussi quelqu’un pour retravailler le scénario de la dernière production du studio. Je suis donc rentrée chez eux comme narrative designer. J’ai fait un gros boulot de script doctoring sur le scénario du jeu ; comme ils avaient déjà tous les personnages, les assets, les settings, il a fallu que je reparte de toute cette matière et que je retravaille le scénario en collaborant avec une autre narrative designer du studio, Mado Holvoët, avec l’équipe de développement et avec l’éditeur. C’était pour moi un gros défi, même si, côté écriture et script doctoring, j’étais en terrain connu. La transition était idéale. Au final, je ne pouvais pas rêver mieux. L’équipe d’Old Skull Games était formidable, et j’ai pu apprendre le fonctionnement d’un studio de jeu vidéo, tout en apportant mes compétences au bon moment.
Detective Jackie: Mystic Case est un jeu vidéo développé par Old Skull Games 
et édité par 
Game House (iOS, Android et Steam)


"Lorsque ce projet s’est terminé, j’ai rejoint Ubisoft (Montpellier), où je suis encore aujourd’hui, pour bosser sur BGE 2 (Beyond Good & Evil 2), où je travaille comme scénariste - “writer”, comme on dit dans le jeu vidéo.

Sarah, tout d’abord, comment définis-tu l’innovation dans ton domaine?

Je dirais qu’il y a un défi pour nous, les auteurs, dans les nouvelles formes d’écriture, dans les nouvelles manières de penser les histoires avec des technologies, des supports comme la réalité virtuelle. Ou la réalité augmentée. J’aime énormément, par exemple, l’idée d’utiliser l’environnement d’un endroit familier où quelqu’un se trouve (son bureau, sa chambre, son salon) grâce à une simple application sur son téléphone, et créer des objets, en transformer d’autres pour raconter une histoire. C’est toujours la question que je me pose avec les possibilités qu’offrent ces technologies : “Qu'est-ce que je peux raconter aux gens avec ça ? “ C’est passionnant.

L’innovation en narration, pour moi, c’est, entre autres, envisager les manières d’utiliser les nouvelles technologies. Il y a, par exemple, des expériences de narration basées sur la géolocalisation. Sur Paris, il y avait eu, en 2015, l’expérience “Sur les bancs” : tu t’asseyais sur un banc et tu pouvais écouter, sur ton téléphone, une histoire qui se déroulait autour de ce banc, et qui n’était accessible que si tu étais sur place. Mais tu peux aller beaucoup plus loin avec ce concept. On peut toujours aller plus loin. Ailleurs.

J’aime aussi jouer avec le fait d’évoquer des histoires plutôt que de les raconter. Quelqu’un entre dans un lieu, et grâce au décor, aux personnages qui sont là, ou à des objets dont il ne connaît pas forcément toutes les fonctionnalités (un peu comme dans le jeu vidéo Myst), il va imaginer lui-même ce qui a pu se passer dans cet endroit. Et tu vas lui donner juste assez d’éléments pour que ce soit possible...

J’aime aussi les alliances entre différentes technologies. La réalité virtuelle et le son binaural, par exemple. C’est une combinaison qui me passionne parce qu’elle permet d’immerger les gens très rapidement dans un univers. Un peu comme l’odorama, d’ailleurs, qui a été finalement très vite abandonnée au cinéma. C’est complexe, l’odorama, car les odeurs sont tellement liées aux souvenirs personnels : si tu rentres dans une pièce qui est imprégnée par une odeur de rose, cette même odeur ne va pas forcément évoquer la même chose pour toi que pour les autres. Ca me fait penser : est-ce que tu connais Le Parfum, de Patrick Süskind (le roman et le film adapté du roman)? J’ai travaillé au musée Miniature et Cinéma à Lyon, un musée qui récupère beaucoup d’accessoires et de décors de cinéma, et ils ont notamment une grande cave dans laquelle ils ont reconstitué une partie du décor du film Le Parfum, qui se passe au 18ème siècle. Le personnage principal est obsédé par les odeurs qu’il essaie de recréer. Quand tu descends dans la pièce du musée dédiée à ce film, il y a cette odeur de rose qui est très très forte, mêlée à l’odeur d’humidité de la cave, et avant même d’avoir vu le décor, il se passe déjà un truc en toi, à mesure que tu t’approches. C’est quelque chose que j’aimerais aussi utiliser, un jour. L’odeur de la pluie et du goudron, par exemple, ferait un bon début pour un polar !

Dans le domaine des “nouvelles écritures” (qui le sont de moins en moins), je pense aussi à l’ARG (Alternate Reality Game) qui est un format un peu marginal et confidentiel. Le credo de l’ARG, c’est “This is not a game”, et il vient du film The game, avec Michael Douglas. Son principe : tu es dans le monde réel et il va se passer quelque chose, à un instant donné, qui va te faire tomber dans la fiction sans même que tu t’en rendes compte. Ou presque... C’est le cas, par exemple, avec le trailer du film A.I. Artificial Intelligence. Certains spectateurs avaient repéré, dans les crédits (à 1 mn 02 sur la vidéo du trailer officiel), le nom de Jeanine Salla, qui était créditée comme thérapeute pour machine (Sentient machine therapist). Si tu ne regardais pas le générique en détail, tu passais à côté, mais tous ceux qui avaient remarqué cet élément se sont demandés ce que pouvait bien signifier “thérapeute pour machine”. Ils se sont alors mis à chercher, sur internet, qui était cette personne et sont tombés dans ce qu’on appelle le “rabbit hole”, par analogie avec Alice aux Pays des Merveilles… Ils se retrouvaient sur un site web, qui les menait à une enquête, et l’ARG se déployait à partir de là, dans le monde réel.

Les ARG sont assez prenants et se passent souvent sur de longues périodes (pour The Dark Night, l’ARG avait duré 15 mois…) Les fans les cherchent, ils attendent les fameux “rabbit holes”. Pour ceux que ça intéresse, il existe des vidéos récapitulatives sur des ARG à regarder ! Ces jeux alternatifs sont souvent promotionnels, comme celui pour The Dark Night (Batman) ou encore celui de la sortie de Halo 2. Les gens qui arrivent au bout du jeu ont droit, en général, à participer à un événement particulier, à la conclusion du jeu avec les acteurs, à une avant première, ou bien, ils ont accès au jeu avant les autres joueurs.

Pour revenir à ta question, à l’appui des exemples que je viens de te donner, je dirais que l’innovation dans mon domaine, c’est d’aller chercher régulièrement de nouvelles manières de raconter des histoires en utilisant tous ces nouveaux outils, et pas uniquement technologiques. Il y a tellement de choses à imaginer !

Comment portes-tu cette innovation ?

Je ne le fais pas consciemment. Il n’y a rien de préparé à l’avance, et je pense que tu trouves les meilleures idées quand justement tu ne réfléchis pas.

Je marche plutôt par obsessions ; dès que je découvre un sujet qui me passionne, je vais rester dessus pendant un certain temps. Cela va me permettre de développer des compétences que je n’ai pas, ou de comprendre des univers que je ne connaissais pas, et ensuite, si cela débouche sur quelque chose, tant mieux.

En ce moment, avec ma sœur qui est designer-chercheuse, nous sommes en train de réfléchir pour monter une exposition de théâtre immersif. Je participe aussi à un projet de VR. Ce sont des expériences que j’ai envie de faire maintenant.

C’est peut-être cela, ma façon d’innover, finalement : en suivant mes obsessions du moment et en regardant ce que cela donne. Je ne me lasse pas du cinéma, ni du théâtre, mais j’aime bien essayer de nouvelles choses. Un peu comme les expériences en laboratoire !

Comment fais-tu pour stimuler ton inspiration ?

J’aime beaucoup les exercices littéraires, comme ceux de l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle).

J’aime toutes les expériences littéraires... Cela donne parfois des OVNI ; je pense par exemple à Marc Z. Danielewski avec La Maison des Feuilles. Dans ce livre, la narration est divisée entre le texte, les notes de bas de page, tu trouves des pages avec juste un seul mot, d’autres où les mots descendent sur la page parce que le personnage descend un escalier… L’histoire se situe dans une maison labyrinthique et absolument angoissante, et en lisant, tu as cette expérience de cette maison qui va au-delà des mots. Les mots sont eux-même mis en scène. J’aime beaucoup cela, et l’Oulipo, c’est ce genre d’expériences, dans la lignée du surréalisme. Et on invente beaucoup en partant de ce genre d’expériences.

J’ai co-créé la cellule Kino Lyon, il y a deux ans, avec trois acolytes. Le principe du Kino est de réaliser des films en un mois, avec des thématiques et des contraintes cinématographiques imposées. J’ai réalisé plusieurs courts-métrages dans ce cadre-là, car j’aime énormément ce principe de contraintes. “Chiens et loups” a été réalisé en une nuit avec une équipe de 18 personnes, sur la thématique “Atmosphère” et la contrainte “Hors-champ”. C’était un défi technique et beaucoup d’investissement, pour un film qui dure moins de 3 minutes. J’ai voulu écrire et réaliser un conte miniature dont toute la structure reposait sur la révélation finale, en reprenant des thématiques et des ambiances que j’aime et que je connais bien.

Est-ce que tu fais intervenir d’autres personnes dans ton processus créatif ?

Pour le jeu vidéo, oui, car je ne travaille pas seule (ou pas longtemps seule), je suis très entourée du début à la fin.

Pour le théâtre, je fais souvent relire par des gens dont j’apprécie le travail.
En général, au début, quand on écrit, on a tendance à faire relire à ses proches. Mais ils vont surtout te dire : “j’aime” ou “j’aime pas”, et ils ne pourront sans doute pas expliquer précisément pourquoi. Même en milieu professionnel, ton voisin de bureau ne sait pas forcément comment fonctionne un récit ; il va rester lui aussi sur le “j'aime-j’aime pas”, “ça fait peur”, “c’est rigolo”. Il faut donc faire relire à des gens dont tu apprécies le travail, qui maîtrisent ces outils et techniques, qui peuvent te faire des retours constructifs qui vont au-delà du ressenti.
Je fais aussi intervenir les comédiens dès que possible. Ce que j’aime avec les comédiens, c’est qu’ils m'apprennent, sans le vouloir et encore maintenant, à écrire des dialogues efficaces. Le texte qui passe l’épreuve du comédien s’enrichit énormément : c’est pas dans ton salon que tu écris les meilleurs dialogues, mais quand tu les mets dans la bouche d’un acteur et qu’il les tord dans tous les sens. Tu apprends aussi à être un peu plus humble avec ton texte, parce que ça fait toujours mal, quand on entend son dialogue pour la première fois, de se dire “Ca marche pas du tout, ça ne fonctionne pas, ça se dit mal, ça se prononce mal…” Comment est-ce qu’on va pouvoir travailler ça, maintenant, pour que ça fonctionne bien ? Particulièrement lorsque le texte est destiné à la scène…

Pour le cinéma, très vite, je vais aussi faire lire le scénario aux potentielles équipes techniques. Au directeur photo et à l’ingénieur du son particulièrement, parce qu’ils peuvent avoir des propositions intéressantes liées à leur domaine, qui ajoutent de la pertinence à certaines scènes, ou apportent un angle nouveau en s’appuyant davantage sur l’image ou le son.
On dit toujours que scénariste, c’est un métier de solitaire, et c’est vrai : la plupart du temps, nous sommes tout seuls devant notre feuille. Mais le reste du temps, nous sommes avec des gens qui peuvent apporter quelque chose au récit, et il faut en profiter !

Comment te tiens-tu au courant des nouveautés, des innovations dans ton domaine ?

Je suis beaucoup de sites qui répertorient les dernières créations dites “innovantes”. C’est le cas du site de Benjamin Hoguet sur les nouvelles narrations. Je suis aussi des créateurs sur les réseaux sociaux, bien sûr. Il y a également une newsletter de jeux vidéo que j’apprécie beaucoup, Video Game Deep Cuts.

Mais je tiens à dire que, même si j’aime travailler avec les nouvelles technologies, rien ne vaut les bibliothèques ! Je trouve toujours des idées en farfouillant dans des bouquins. Il n’y a pas longtemps, par exemple, je suis tombée sur un vieux manuel de psychiatrie de 1920. On pouvait y lire, notamment, la manière dont ils géraient les maladies mentales à cette époque : c’était passionnant.

Pour revenir à ta question, les idées d’écriture, tu peux les trouver justement dans ce qui est ancien ; moi, en tout cas, c’est ce qui m'inspire le plus. Je vais essayer d’aller chercher des objets qui existaient avant, ou des sujets dont on ne parle plus... Et personnellement, je trouve beaucoup cela dans la littérature, au sens large, du 19ème siècle.

J’essaie aussi de suivre et de participer au cinéma émergent, notamment lyonnais. Il y a beaucoup événements qui se font là-bas autour du cinéma, et qui s’ouvrent de plus en plus aux nouvelles manières d’écrire des films.

Je participe aussi à des festivals, autant que possible. À la rentrée (du 18 au 20/11/2020, sur Toulouse), il y a par exemple le festival Tomorrow’s Stories, qui est encore peu connu car récent (ce sera la 3ème édition) mais dont la programmation est très intéressante : ils font venir des gens comme Sam Barlow (concepteur de jeu vidéo de la série des Silent Hill) qui écrit notamment des fictions interactives (Her story). Je serai l’une des marraines de la résidence d’écriture montée en parallèle de ce festival par les Storygraphes, et j’espère pouvoir me rendre au festival pour discuter et échanger avec tous ces acteurs des nouvelles écritures.

Je lis aussi régulièrement des publications scientifiques, comme la revue Télévision, par exemple. Je suis restée fidèle à mon passé académique ! Je pense qu’il faut se tenir au courant des parutions d’articles scientifiques, car c’est aussi là que peuvent se trouver les nouvelles pistes. La définition du transmédia, par exemple, on la doit à Henry Jenkins (2003), qui fait partie de ces universitaires qui apportent beaucoup à ceux qui évoluent professionnellement dans le domaine des nouvelles écritures, en leur offrant d’autres angles de réflexion sur leurs pratiques.

Je t’ai connue en suivant les masterclass La Diligence, pendant le confinement. D’où t’es venue cette idée ?

L’idée est venue pendant le confinement. Le partage de connaissances est important pour moi. Au début de ma carrière, pendant ma scolarité aussi, j’ai beaucoup manqué d’interventions de professionnels qui auraient pu me raconter concrètement ce qu’ils faisaient au quotidien. J’ai donc profité du fait qu’aujourd’hui, j’ai plein de gens merveilleux et talentueux autour de moi, qui étaient eux aussi coincés sur leurs canapés, et qui étaient d’accord pour partager leurs expériences.

Pourquoi une diligence ?

Parce que j’aime le 19ème siècle ! C’est une amie qui travaille dans la communication qui a trouvé ce nom, au bout de 2h de discussions… J’étais partie sur l’idée de voyager au-delà de son canapé, et sur celle de la proximité : les vidéos sont diffusées en direct et les intervenants et intervenantes sont donc accessibles, on peut leur poser des questions. C’est aussi quelque chose qui me manque lorsque je vais voir des conférences, en ligne ou non : la personne est rarement assez accessible pour qu’on puisse aller plus loin dans l’échange. Dans la Diligence, nous sommes coincés à plusieurs dans un petit espace, nous voyageons ensemble, et nous retournons tous chez nous après. La Diligence, c’est ça !

Un petit scoop, sur le futur proche ?

Je n’ai pas de “scoop” ! Mais pour les projets à venir, je peux dire que je travaille sur une fiction audio en 10 épisodes, plusieurs projets de courts-métrages et un recueil de nouvelles. J’aimerais également terminer ma troisième pièce, sur la photographie spirite.
J’ai un site où je gribouille beaucoup, des histoires comme des articles : www.sarah-beaulieu.com
Et également un site d’histoires en trois phrases : www.le-narratoire.fr
La chaîne de la Diligence, quant à elle, est ici : LaDiligenceMasterclass

Merci Sarah, nous te souhaitons plein de bonnes choses pour la suite !

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