#ParlonsDInnovationAvec a l’habitude, depuis un an et
demi, d’explorer comment les acteurs des Industries Culturelles et Créatives de
notre région gèrent l’innovation dans leurs studios et entreprises.
Comme l’innovation en ce moment, c’est surtout de s’adapter
aux conditions exceptionnelles qui touchent le monde entier, j’ai pris de leurs
nouvelles, la semaine dernière, juste après le début du confinement.
Je vous propose de lire, aujourd'hui, les témoignages de Jérémy (Midgar
Studio), Audrey (The game Bakers), Benjamin (Bigger Inside, The Cluster), Michaël
(Bioviva), Florian (Playdigious) et Romain (Atlantide), reçus par messagerie ou recueillis
par téléphone, entre le 18 mars et le 20 mars.
Dans quelle phase de développement êtiez-vous au début du confinement ?
Benjamin Rolland, Bigger Inside (The Cluster)>
Nous étions en plein lancement commercial !
Nous avons une salle de jeu e-sport qui accueille du
public et nous avions prévu un important investissement sur notre campagne
marketing (juste après notre invitation presse). Mais heureusement, si je puis
dire, que nous ne l’avons pas lancé un mois avant le confinement !
Audrey Leprince, The Game Bakers>
Nous étions en période de lancement de jeu (Haven).
Michael Rambeau, Bioviva>
La production tournait à plein régime :
fabrication de jeu, commercialisation et service support.
Côté développement : nous étions en train de finaliser
les jeux de fin d’année pour une sortie en septembre : le jeu Famille Zéro
Déchet (adapté d’un livre à grand succès) et le grand jeu Défis Nature sur les Dinosaures.
Florian Boeuf, Playdigious>
Nous étions en pleine production puisque nous réalisons
le portage sur Android du jeu Dead Cells,
dont l’optimisation est assez « hardcore ».
Le jeu étant déjà sorti sur iOS, nous sommes donc
aussi en support client, donc un peu d’activité corrective. Mais comme nous
faisons du Premium, le niveau de qualité est très élevé et nous avons assez peu
de tickets à gérer. Et quand cela se produit, ils sont intégrés dans les
tickets de production.
Romain Aymard, Atlantide>
Sur Atlantide, nous étions en phase de production
de nouvelles applications et de nouveaux scénarios pour nos jeux géo localisés.
Quel est, pour le moment, le plus gros impact du confinement pour votre studio ?
Jérémy Zeler-Maury, Midgar
studio>
Comme nous avions un
peu anticipé le truc et préparé pas mal le terrain avant, nous n’avons pas d’impact
majeur.
Benjamin Rolland,
Bigger Inside (The Cluster)>
La fermeture de la
salle ! C’est notre seule source de revenu. Nous avons toujours le loyer à
payer. Nous avions aussi une prévision d’embauche que nous avons gelé pour le
moment.
Au final, nous
sommes assez peu impactés par la situation actuelle sur notre mode de travail.
Les seuls d’entre nous qui sont le plus impactés sont ceux qui ont une
connexion lente.
Audrey Leprince, The
Game Bakers>
Pas trop de changement pour nous, car Game Bakers travaille
depuis 10 ans en télétravail avec des collaborateurs à travers la France et le
monde (Canada, Suède, Japon, Pologne, US...).
Michael Rambeau, Bioviva>
La réduction de la
production, donc un impact direct sur notre chiffre d’affaire. Et sur les services
commerciaux, marketing et administratifs.
Florian Boeuf,
Playdigious>
Nous sommes passés en
télétravail complet depuis le lundi 16 mars. Comme il y a 2 bureaux Playdigious
en France, le travail à distance est quelque chose que nous connaissions déjà,
puisque mis en œuvre entre Nancy et Montpellier.
Ce qui est le plus
gênant, c’est de ne plus avoir le collègue juste là, à côté. Je ne peux pas voir
la dispo d’un collègue à un instant donné, on perd le langage corporel. Ça
change la rapidité des allers/retours, et la méthode de communication directe.
Romain Aymard,
Atlantide>
Nous sommes bloqués
sur 5 projets, c’est-à-dire à l’arrêt complet. Un de ces projets se déroulait
en Bulgarie, et nous avions besoin d’être sur place pour avancer. Heureusement que nous avons pu rentrer juste à temps. Comme nous développons des jeux géo localisés, nous avons besoin d’être sur place, c'est ce qui explique que nous soyons à l’arrêt
sur ces jeux là.
Quels
process avez-vous mis en œuvre pour vous adapter (qui fonctionnent bien, ou
moins bien) ?
Jérémy
Zeler-Maury, Midgar studio>
J'avais
demandé à mes salariés d'installer les logiciels chez eux en avance.
Notre code
source est sur un GitLab hébergé sur un serveur OVH. Du coup, nous y avons
accès à distance.
Nous
avions déjà mis en place le télétravail occasionnel pour ceux qui le
souhaitaient pour différentes raisons (médicale, livraison, garde d'enfant), ou
pour ceux qui avaient besoin d'être au calme. Donc pour cela aussi, ce n'est
pas une situation totalement étrangère à notre façon de fonctionner habituelle.
Benjamin
Rolland, Bigger Inside (The Cluster)>
Nous
allons faire ce que nous avions du mal à faire quand la salle était
ouverte : du développement !
Quand la
salle était ouverte, son exploitation passait avant tout. Du coup, nous en
profitons maintenant pour parfaire la robustesse et développer de nouvelles
fonctionnalités.
Nous
travaillons tous à la maison : nous avons chacun récupéré du matos, PC,
combinaisons et casques (nous en avons 8 à la salle !). Si c'est vraiment
nécessaire, nous pouvons individuellement nous rendre à la salle.
Michael Rambeau, Bioviva>
Juste avant le confinement, nous avons
fait une revue de tous les services et employés afin de déterminer les possibilités
de maintenir les activités pendant la période.
Par
exemple, dans notre cas, le département commercial a beaucoup moins de
possibilité de travailler que le développement.
Au niveau des changements, concrètement,
nous avons aussi beaucoup moins de réunion : nous avons divisé par 3 ou 4 leur
nombre !
C'est surprenant, mais ça donne plus d’autonomie aux projets. Pour le développement de nouveaux
produits (création, conception), ça avance même peut être plus vite. Par
contre, nous sommes coincés sur les tests des jeux, surtout par rapport aux
nombre de testeurs. Alors je vais tester avec ma petite famille, dès cet apres-midi !
Florian
Boeuf, Playdigious>
Il n’y a pas
véritablement de truc qui ne marche pas, mais nous sommes juste au début de ce
nouveau mode de travail. L’aspect télétravail complet pour tout le monde est
totalement nouveau pour l’entreprise.
En ce qui
me concerne, je gère une équipe de 2 programmeurs juniors : je les aide à
s’organiser, car ce n’est pas évident de télétravailler du jour au lendemain.
Nous nous
sommes préparés un peu à l’avance, en particuliers pour ce qui concerne le
partage de ressources, la création d’un canal sur Slack, dédié au télétravail.
Nous avons
eu les petites difficultés classiques sur la répartition entre travail et vie
privée. Une solution que nous allons mettre en œuvre est le pair programming, c’est-à-dire
le fait de travailler à 2 sur le même code, ou à 2 sur une même tâche au même
moment tout en étant en communication vocale permanente. Cela devrait permettre de casser l’isolement.
Nous renforçons aussi la tenue de notre daily [cérémonie agile journalière très
courte qui permet à chaque membre de l’équipe de faire le point sur ce qu’il a
fait la veille, ce qu’il compte faire aujourd’hui, et les difficultés qu’il
rencontre, quand il y en a] en télétravail, de façon plus rigoureuse même qu’en
présentiel. Et dans ces temps-là, nous ne faisons pas que parler du projet,
nous échangeons aussi sur le ressenti de la vie en confinement.
Romain
Aymard, Atlantide>
Ce qui
fonctionne plutôt bien :
·
Nous avons
l’habitude de travailler à distance, car nous fonctionnons comme cela entre
Toulouse et Montpellier.
·
Je peux
travailler sur l’administratif
·
Nous avons
réaffecté des ressources sur d’autres parties des projets
·
Nous avons un
projet qui était en R/D et que nous avons fait passer en production
Ce qui fonctionne moins bien :
·
Du fait qu’il
est impossible de se déplacer, nous serons en chômage technique pour les
productions de jeux géo localisés à partir du 23 mars.
Quels
outils (logiciels) utilisez-vous pour faciliter le travail à distance ?
Jérémy Zeler-Maury, Midgar studio>
Nous sommes tous connectés via Discord, voix et texte,
sachant que nous l'utilisions déjà beaucoup avant, même au bureau.
Je pense que le gros avantage de notre métier (car
malheureusement ça ne peut pas s'appliquer à tous les métiers, bien évidemment)
c'est d'avoir déjà un pied dans le « tout digital » et les outils en
ligne (Discord, Slack, Notion, Git, etc...) avec un bureau, qui n’est
finalement qu'un support comme un autre.
Benjamin Rolland, Bigger Inside (The Cluster)>
Pour communiquer, nous utilisons Discord (Voix,
texte), c’est même mieux que Skype. Depuis le début, pour les fichiers et le
partage des ressources, nous travaillons avec Microsoft Azure et OneDrive.
Michael Rambeau, Bioviva>
Nous avons généralisé la mise en place d’un VPN pour
l’accès à distance au serveur, qui avait été anticipé dès la fermeture des
écoles. Bien nous en a pris, car le jour de l’annonce du confinement
obligatoire, le support informatique de la société externe avec qui nous
travaillons était débordé.
Nous utilisons Skype pour les réunions à distance,
donc plusieurs fois dans la semaine.
Nous avons aussi créé un groupe WhatsApp par service
pour les communications quotidiennes et la vie d’équipe.
Enfin, nous utilisons aussi Google drive pour les
fichiers de travail, car ça reste moins lourd que d’utiliser le VPN.
Florian Boeuf, Playdigious>
Nous utilisons les outils que nous avions déjà mis en
place entre les 2 studios de Nancy et Montpellier, à savoir :
- JIRA pour la gestion des tickets de développement,
- Slack, avec la fonction d’appel pour la communication,
- Skype
- Discord, que nous utilisions plutôt pour discuter avec
nos joueurs (lors des rounds de beta ou pour faire du bug report),
- Google Drive pour le partage fichiers,
- Git pour le partage de code.
Romain Aymard, Atlantide>
Pour la communication, nous utilisions déjà Slack,
surtout la messagerie instantanée.
Pour les réunions en visio conférence, c'est plutôt Skype.
Pour le suivi des projets, nous utilisions Trello et
GitLab. Mais du fait du confinement, nous sommes en train de migrer de Trello
vers GitLab qui contient des outils de suivi de projet très intéressants.
Quelles
activités avez-vous dû annuler pour le moment ?
Jérémy Zeler-Maury, Midgar studio>
Par rapport à notre planning
initial, nous avons pris 15 jours de délais sur tous nos livrables pour pouvoir
quand même absorber la mise en place de ce télétravail.
Benjamin Rolland, Bigger Inside (The Cluster)>
L’accueil du public dans notre salle : on venait
d’ouvrir la partie Bar, où les joueurs, entre 2 parties, pouvaient se
rafraîchir et regarder la partie en cours.
Michael Rambeau, Bioviva>
Certaines réunions et des prestations pour des clients
ont été reportées.
Les livraisons de jeu sont impactées aussi.
Notre fournisseur maintient son activité a minima, pour
le moment.
Les magasins qui vendent nos jeux sont quant à eux fermés.
Florian Boeuf, Playdigious>
Nous n’avons pas supprimé d’activité au niveau
production.
Romain Aymard, Atlantide>
Comme je te l’ai déjà dit, nous sommes bloqués sur
tous les jeux ou scénario géo localisés qui nécessitent un déplacement.
Comment
votre studio s'adapte-t-il aux annulations ou reports de salons ?
Jérémy Zeler-Maury, Midgar studio>
Concernant les reports de salon, nous avons eu de la
chance cette année car nous avions déjà décommandé notre participation à la
Game Developers Conference (je trouvais cela trop cher par rapport à ce que ça
nous apportait). Globalement, l'annulation des salons va certainement entrainer
une augmentation forte des conférences digitales qui sont bien moins coûteuses
pour nous : nous avons juste à fournir des bandes annonces plutôt que de nous
déplacer physiquement.
Audrey Leprince, The Game Bakers>
La pandémie est un accélérateur de changement, mais
beaucoup de solutions de remplacement étaient déjà en place (cf Game Dev
World de Rami, ou les conférences GDC en ligne, ou simplement la puissance des
créateurs de contenus sur twitch et youtube).
L'impact de l'annulation des salons est plus délicat
surtout en période de lancement de jeu, mais on est confiants que l'industrie
sera créative et trouvera d'autres façons de mettre les jeux en avant, comme on
le voit déjà avec les stream ou les vidéos des différents acteurs
(Nintendo, Xbox...) ou des conférences en ligne.
Benjamin Rolland, Bigger Inside (The Cluster)>
Nous n’avions pas prévu d’aller dans les salons avant
la fin de l’année. Par contre, le prochain rendez-vous qui compte beaucoup pour
nous est le salon e-sport d’Occitanie prévu le 30 mai : nous espérons
qu’il va être maintenu. Ce salon peut nous apporter une grosse visibilité et
nous aider à nous lancer.
Michael Rambeau, Bioviva>
Nous avons eu la chance de participer à de gros salons
avant le confinement (comme Cannes ou Nuremberg) : ces salons sont
importants car ils permettent de préparer l’activité de l’année.
Le salon du Quebec a été annulé (15 mars). Le prochain
aura lieu en Novembre à Deauville.
Florian Boeuf, Playdigious>
A priori, nous participerons aux salons qui se
tiendront en format digital. A confirmer, je ne m’occupe pas de aspect.
Romain Aymard, Atlantide>
Nous avions prévu de participer à Viva Technology
seulement. Il a été annulé, et pour le moment, il n’y a pas de plan B annoncé.
Comment se
passent les relations avec vos publishers ou fournisseurs ?
Jérémy Zeler-Maury, Midgar studio>
Nous avons informé nos éditeurs de notre situation mais
nous n’avons pas encore eu de réponse de leur part là-dessus donc je ne peux
pas trop t’en dire sur leurs réactions.
Benjamin Rolland, Bigger Inside (The Cluster)>
Nos principaux fournisseurs sont HP et il n’y a pas de
problème pour le moment.
Pas vraiment d’impact pour nous de ce côté.
Florian Boeuf, Playdigious>
L’activité de localisation du jeu est sous traitée (12 langages), mais le
confinement n’est pas trop impactant pour ce type d’activités, car les
traducteurs sont en général des freelances qui bossent de chez eux.
La partie tests et QA [Quality Assurance] est aussi sous
traitée mais là, c’est une activité un peu plus compliquée à maintenir selon le
lieu où se trouvent les personnes impliquées.
Pour ce qui est des deadlines de sortie, nous avons
l’habitude de ne pas faire d’annonce de date tant que nous ne sommes pas sûrs
de tenir nos délais. Dans le cas présent, nous avons subi des retards avec nos
partenaires chinois. Mais il n’y aura pas d’impacts pour le grand public, car
nous adaptons tous nos plannings.
Quel
impact subissez-vous au niveau financier ?
Benjamin Rolland, Bigger Inside (The Cluster)>
Si le confinement dure, notre chiffre d’affaire de
début d’année va continuer de diminuer. Donc nous faisons tout pour que tout
reparte quand ce sera fini.
Mais je tiens à souligner la super attitude de nos 2
banques, la banque populaire (agence innovation) et la Caisse d’Epargne, avec
qui nous avons contracté 2 prêts entreprises, au mauvais moment : ils ont
tout de suite accepté de différer le remboursement de 6 mois. Ils ont vraiment
le sens de l’accompagnement de petite structure comme la nôtre !
Michael Rambeau, Bioviva>
Dès le début des annonces, nous avons fait un point
financier, et nous avons estimé qu’il n’y avait pas de danger pour tenir avec
une activité réduite. Par contre, nous avons dû mettre en chômage partiel une
partie de nos collaborateurs en fonction de la baisse de certaines activités.
Florian Boeuf, Playdigious>
L’entreprise est en bonne santé et la holding qui nous
soutient est solide. Mais il est probable qu’il y ait des décalages de sortie
de certaines versions. Par contre, le confinement est arrivé avant la fin de
notre exercice fiscal (qui se termine en juin pour nous), donc il y aura
forcément une perte financière qui ne sera pas récupérable.
Romain Aymard, Atlantide>
L'impact financier direct, c'est que nous perdons
potentiellement 60% de notre CA. Les banques, pour le moment, sont sous l'eau.
Un grand merci à nos premiers témoins :
Audrey Leprince est productrice
exécutive du studio The Game Bakers qui développe actuellement le jeu
Haven
Benjamin Rolland est cofondateur de Bigger Inside, l'entreprise qui propose une solution permettant de
mélanger la réalité avec des jeux vidéo en 3 dimensions et d'utiliser des super
pouvoirs basés sur des interactions corporelles, mis en œuvre dans la salle de
jeu The Cluster, ouverte depuis le mois de décembre sur
Montpellier.
Michaël Rambeau est directeur du
développement, de l’export, et game designer, chez Bioviva, entreprise qui propose des jeux
de société éducatifs, dont la célèbre collection des Défis Nature
Florian Boeuf est Lead Developer
chez Playdigious, un éditeur de jeu qui
réalise des portages sur pc ou consoles du marché. C’est eux qui ont réalisé le
portage du fameux Dead Cells sur iOS.
Romain Aymard est CEO et directeur
créatif d’Atlantide.io, qui
développe Atlantide, un jeu mobile
géolocalisé.
A suivre, très bientôt, d’autres témoignages sur 10ruption.fr ou Lokko.fr.