Gabriel Grapperon de Bloom Pictures
Interview du 17 janvier 2020, réalisée par rOmain Thouy
32ème article d’une série d’interviews réalisés sur la gestion de l’innovation dans le domaine des industries créatives (jeux vidéo, films d’animation) de la région Occitanie.
Gabriel Grapperon, co fondateur et directeur technique du studio Bloom Pictures, spécialisé dans les films d’animation 3D, pour la publicité, la bande-annonce ou le long métrage.
Formation : Supinfocom (Arles)
- son 1er film : Garden Party
- son 1er gros succès : Garden Party, nominé aux oscars en 2018 dans la catégorie “Short Animated Film”
- son dernier gros succès : Maestro
"Plus jeune, je voulais faire de l’animation. J’ai commencé quand j’étais au collège et j’ai appris, à ce moment là, par un ami de ma soeur qui avait fait le MOPA, qu’il était possible d’en faire son métier. J'étais particulièrement intéressé par les aspects informatiques et techniques, mais j’ai pris pas mal de cours de dessin. Après mon baccalauréat, je suis rentré à Supinfocom, qui était sur Arles à l'époque, pour 5 ans d’étude. C’est là que j’ai rencontré les 4 autres futurs associés de Bloom Pictures. J’ai beaucoup apprécié le fait que cette école nous ai enseigné les techniques de narration en parallèle de la technique d’animation, avec des enseignants très portés sur la scénarisation et la réalisation, car c’est quelque chose qui nous a été très utile par la suite. Nous avions de très bons professeurs.
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Dans l’interview vidéo qui suit, Gabriel se présente, nous parle de son studio, et nous explique ce qu'il pense de l’innovation dans son domaine.
"Pendant notre cinquième et dernière année, nous avons réalisé sur 9 mois, un film qui s’appelle Garden Party. Nous étions 6 dans l’équipe projet, dont les 5 fondateurs de Bloom Pictures. Nous sommes encore très amis avec le 6ème, qui est parti au canada et qui travaille sur du long métrage. Ce film de diplôme a été une expérience incroyable. Toutes les conditions étaient réunies pour nous permettre de faire notre projet : du bon matériel, du temps, pas de producteurs, bref, la liberté de faire le projet que nous voulions vraiment. Nous avons beaucoup travaillé, cette période a été vraiment très intense. Ce film là a été le sésame pour démarrer notre vie professionnelle.
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"Juste après notre film, nous avons été approché par un groupe de producteurs Parisien, Wizz Design, qui était intéressé par notre premier film et qui se proposait de nous représenter en tant que réalisateur. Nous avons intégré tous les 5 (ce n’est pas classique d’être autant de réalisateurs!) Wizz Design et nous avons commencé à pitcher nos premiers projets dans la publicité. Nous avions un fonctionnement un peu hybride, car nous étions à la fois réalisateurs et fabricants de nos films, ce qui était très proche finalement de notre fonctionnement sur le film de fin de diplôme. Nous avons fait ce job pendant 1 an et demi.
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"Mais nous avions toujours l’envie commune de créer notre propre studio d’animation pour pouvoir mener librement nos projets. C’était un rêve ! Le fait d’avoir été nominé en 2018 aux Oscars dans la catégorie “Best Animated Short” pour Garden Party nous a permis de sauter le pas. A cette occasion, avant et après la cérémonie, pendant plus d’un mois, nous avons rencontré beaucoup de monde de cette industrie à Los Angeles. Il y a eu aussi plusieurs visites de gros studios et toute la campagne pour présenter le court métrage.
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"La sélection aux oscars a été très progressive. Nous avons d’abord été sélectionné dans un petit festival (à Nashville), ce qui nous a donné le droit de nous inscrire ensuite aux Oscars. A ce moment là, nous avons eu l’aide de Benoit Berthe, ancien de notre école, qui s’intéressait beaucoup aux festivals, aux courts métrages d’animation et à leurs promotions (il a fondé The Animation Showcase, une agence de promotion de films d’animation). Il nous a expliqué comment fonctionnait le système de sélection des Oscars et il nous a aidé pour notre campagne de promotion (réseaux sociaux, crowdfunding, publications dans la presse spécialisée). Finalement, nous avons été sélectionné dans la première short list (les 10 derniers en lices), puis dans les 4 derniers ! Nous étions tous présents dans la salle le soir de la cérémonie de remise des oscars. Mais nous ne l’avons pas gagné car cette année là, c’est “Dear Basketball”, d’un certain Kobe Bryant et Glen Keane, un ancien de chez Walt Disney (à qui l’on doit les personnages de Pocahontas et la Petite Sirène) qui ont remporté le trophée.
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"Peu de temps après, nous nous sommes dits qu’il n’y aurait pas de meilleurs moments pour nous lancer. Nous avons choisi Montpellier car nous étions tous du sud. L’endroit nous convenait bien pour plusieurs raisons : il y a ici de très bonnes écoles qui forment des centaines d’étudiants chaque année, il y a aussi une bonne dynamique de la part de la ville pour développer les industries culturelles et créatives. Sans compter le cadre de vie agréable de cette belle ville. Nous avons découvert la Halle Tropisme à peu près au même moment. C’était super de se retrouver en tant que petite structure au milieu d’autres petites structures dans une bonne ambiance d’échanges. Quand le projet s’est concrétisé, nous avons pu collaborer avec d’autres studios voisins comme Beastmakers, qui se trouve … à la Halle aussi !
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Bonjour Gabriel, tout d’abord, comment définis-tu l’innovation dans ton domaine?
Bonjour rOmain.
Pour moi, il y a deux types d’innovation dans le domaine de l’animation : la première est purement technologique (logicielle, matérielle, processus de fabrication), car l’animation est un médium très jeune (Toy story date de 1995), donc il y a encore beaucoup de possibilités d’innovation et d’évolution. Je suis très curieux de savoir comment sera le medium dans 5 ans.
La seconde, c’est l’innovation dans la narration, le scénario et le script : par exemple, aujourd’hui, il est possible de faire parler des animaux, quelque chose qui était impossible ou très limité, il y a encore très peu de temps.
Comment est portée l'innovation chez Bloom Pictures ?
Nous avons à cœur de nous tenir à jour des récentes évolutions et de ce qui se fait en ce moment dans l’industrie. Mais notre stratégie est plutôt basée sur notre expérience : sur chaque projet , nous associons le point de vue du réalisateur et celui du fabricant, ce qui nous permet de réaliser des projets les plus impressionnants possibles avec des moyens, somme toute, assez modestes vu notre taille.
La bonne communication qu’il y a entre nous est un élément clé de notre réussite. Nous essayons de penser le projet complet dès le début, en identifiant au plus tôt les impacts techniques que le scénario va impliquer.
En résumé : notre stratégie c’est de créer des films impressionnants en associant à la fois la réalisation et la fabrication.
Pourquoi est-ce si important d’innover ?
Essentiellement pour répondre à des besoins très spécifiques. Dans ce cas-là, nous développons nous-mêmes de petits outils. C’était le cas, par exemple, pour un projet où nous avions une forêt qui contenait des rochers recouverts de mousse. Pour faire cette mousse, nous avons développé un petit processus utilisable par tous les artistes du studio. Mais une autre fois, ça pourra être des connecteurs entre 2 logiciels. Nous essayons au maximum d’automatiser les parties les plus rébarbatives.
Notre R&D est portée par les profils concernés, en fonction des étapes des projets. S’il y a un enjeu d’animation ou d’effets spéciaux (FX), comme un chien qui marche dans l’herbe, par exemple, alors il faudra simuler comment l’herbe doit réagir. Dans ce cas, ce sera plutôt un FX artist (artiste en effets spéciaux) qui mettra en place un système réutilisable par tous le plus facilement possible dans tous les shot; si c’est du pipeline, comme le rangement de dossiers ou l’automatisation d’import de fichiers, ce sera plutôt moi qui m’en occuperait.
Comment faites-vous pour innover ?
Nous faisons des réunions de créativité, mais qui sont très classiques, je pense. Pour développer les histoires, nous nous mettons sur un canapé avec un bloc note et nous échangeons nos idées. En général, ce ne sont pas des réunions programmées. C’est en continu, dans la journée, et plutôt en début de projet.
Ensuite, nous passons très vite à la réalisation d’une animatic sonorisée pour poser les choses rapidement et pour nous projeter très vite sur le résultat fini. Même si les dessins ne sont pas en 3D, il y a les découpages et les intentions. C’est un prototypage qui permet de voir ce qui marche ou pas. Nous faisons aussi des visuels et du concept art pour matérialiser le projet et partager la vision entre tous. C’est important car c’est ce qui donne envie au groupe.
Comme nous faisons beaucoup de visuels dans nos films, la mise en image au plus tôt est très importante dans notre processus de fabrication. Même si c’est parfois très brut, le fait que ça marche dans cet état là veut dire que cela fonctionnera bien après.
En ce qui me concerne, pour savoir si une idée est bonne, je fonctionne beaucoup à la première impression : si j’ai rigolé ou que j’ai eu une émotion à la première ou seconde fois où je l’ai vue, c’est qu’elle est bonne. C’est quelque chose qui se perd au bout de la 10è ou 15è fois que tu la vois car ça devient assez intellectuel de se demander si ça marche ou pas.
En général, nous testons d’abord entre nous. Quand cela commence à prendre une forme plus satisfaisante et que nous avons mis plus de choses en place, nous testons autour de nous, dans notre premier cercle de proche. Nous faisons aussi des pré-projections avec des collègues, des gens qui passent autour, comme les gens de la Halle, par exemple ! Le but recherché est d’avoir un regard extérieur, un regard neuf.
Dans la vidéo qui suit, Gabriel nous propose de voir le making of de Garden Party :
Allez Gabriel, tu peux m’en dire un peu plus ?
Nous stockons les idées de projet sur des dossiers partagés dans un répertoire commun à toute l’équipe. Nous nous y replongeons de temps en temps. Il n’y a pas vraiment quelqu’un en charge de tous ces dossiers, c’est plutôt chacun d’entre nous qui l’anime selon son inspiration. C’est typiquement ce qui s’est passé pour Maestro : d’emblée, le projet a plu à tout le monde. Nous avions envie de faire une comédie musicale avec des animaux en mode réaliste. Nous voulions aussi que ce film soit une vitrine pour le studio et qu’il donne la vision des productions que nous avions envie de faire.
Pour le choix de mener à bien tel ou tel projet, il n’y a pas vraiment de méthode de sélection : si nous parlons souvent d’un projet entre nous, c’est qu’il doit voir le jour. C’est assez instinctif, en fait. Je suis même agréablement surpris de constater que nous arrivons à converger sur nos choix. Je pense que c’est parce que nous travaillons en bonne intelligence, sans trop d’ego. C’est surement lié aussi au fait que nous nous sommes formés ensemble au sein de la même école.
Dans la vidéo qui suit, Gabriel nous propose de voir le making of de Maestro :
Comment stimulez-vous l’innovation chez Bloom Pictures ?
Pour l’innovation narrative, nous essayons de créer un contexte plus propice à la génération d’idées. Pour Garden Party, par exemple, nous nous étions isolés une semaine dans un chalet à la montagne, avec un carnet et sans électronique. La création est quelque chose de tellement ténue qu’il faut vraiment bien la protéger. Le changement de cadre, le fait de ne pas être au bureau est quelque chose de très stimulant aussi.
Pour les innovations plus techniques, nous allons au SIGGRAPH [une des conférences les plus importantes sur l'infographie et les techniques interactives qui se déroule aux états-unis, une fois par an, et qui inclut des cours et des présentations de produit de l'industrie des images numériques] ou d’autres salons comme le festival d’Annecy [Festival international du film d’animation qui se déroule en juin chaque année].
Toujours par rapport au SIGGRAPH, il y a des fois des présentations de technologies incroyables qui ne sont pas encore accessibles. Il y a eu des séminaires emblématiques, comme ceux faits par Disney. Comme celui où ils expliquent comment ils réalisent la neige, avec le fameux “granular solver”, c’est à dire des simulations de points qui ont une épaisseur et qui permettent de faire du sable ou de la neige. Et un an plus tard, tu peux retrouver son implémentation dans Houdini [logiciel d'animation 3D développé par la société SideFX].
Nous suivons aussi ce que les autres studios font : leurs “making of” sont très instructifs et stimulants pour nous. Encore plus quand ce sont de gros studios de production. Quand c’est Weta Digital qui fait l’animation de Gollum, tu te rends compte du niveau élevé qui existe. Et souvent, les nouvelles technologies qui sont mises en oeuvre dans certains films deviennent rapidement accessibles.
Nous faisons beaucoup de veille, aussi, c’est indispensable. Nous en faisons sur des site webs comme 3Dvf ou sur les sites des éditeurs eux-même (comme le Maya blog), ou encore les making of des studios sur Vimeo, où il est possible de voir les processus et les logiciels qu’ils ont utilisés.
C’est très enrichissant aussi de travailler avec des personnes extérieures au studio, qui apportent de nouvelles manières de faire qui sont souvent intéressantes, avec des fois, des solutions à des problématiques que j’avais rencontrées et que je n’avais pas encore résolues.
Un petit scoop, sur le futur proche ?
Nous travaillons sur le développement d’un long-métrage d'animation. C'est produit par Watch This Entertainment, la nouvelle société de Bob Weinstein, et le film est inspiré par les photographies animalières saisissantes du livre de Tim Flach "Endangered".
Je pense qu'il y a un beau film à faire et mettre en scène des animaux est un exercice que nous aimons particulièrement.
C'est aussi un défi très motivant de passer du format court-métrage au format long métrage, cela permet de travailler une narration plus développée.
Merci Gabriel, nous te souhaitons plein de bonnes choses pour la suite !
#ParlonsDInnovationAvec
Bonus track : Et puisqu'il y a déjà 2 making of dans cet article, je vous en propose un troisième, avec celui ... de l'interview (avec Françoise en guest star) !
Crédits photo : Françoise Garcia
Crédits musique (dans la vidéo d'interview de Gabriel) : bensound.com
Crédits musique (dans la vidéo d'interview de Gabriel) : bensound.com