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mardi 14 janvier 2020

Parlons d'innovation avec...

Salim Zein de l'association ECDC


Interview du 22 novembre 2019, réalisée par rOmain Thouy


30ème article d’une série d’interviews réalisés sur la gestion de l’innovation dans le domaine des industries créatives (jeux vidéo, films d’animation) de la région Occitanie.

Salim Zein
Salim Zein, directeur de l’association ECDC (Éduquer Créer Divertir Cultiver). Fondée en 2012, cette association est spécialisée en éducation numérique créative et innovante. Elle a mis au point une méthode qui s’appelle “Arcadémie” et qui permet, sans pré-requis, de fabriquer rapidement un jeu vidéo sous différents formats (½ journée, 1 journée, ou plus). Ce procédé pédagogique permet de découvrir le travail d’une équipe de fabrication de jeu vidéo et les composants fondamentaux qui le compose : le code, le son et l’image. Pour les formations proposées, l’équipe ECDC se déplace, sur demande, dans les écoles, les associations, les médiathèques, les maisons de quartiers, en zones prioritaires mais aussi dans des zones rurales, grâce à son propre parc de matériel informatique mobile.

Formation : Master d’Histoire, de Fictions Numériques (Game Design), Master Métiers des Arts et la Culture, Ingénierie Culturelle.

  • son 1er jeu : “Camille et le Maître-Cube”
  • son 1er gros succès : “E.L.E.C.T.R.O.N” (1er Prix / Prix national de l’audace artistique et culturelle 2017 / Fondation Culture et Diversité / Académie de Montpellier)
  • son dernier gros succès : “Walking on the Mood”

"En 1995, j’ai fait 2 rencontres qui ont marquées ma vie : la première est devenue ma femme, et la seconde, c’était la conseillère culturelle qui s’occupait de l’action culturelle au Liban. C’est grâce à elle que j’ai créé, avec une petite équipe, le centre culturel français de Tyr, au sud Liban. En 1996, j’ai acheté mon premier ordinateur. Et j’ai acheté et joué à tous les jeux qui sortaient entre 1996 et 2000. J’ai fait plusieurs métiers dans cette même période, notamment de la médiation culturelle et je suis devenu développeur culturel pour des collectivités.
"En ce moment, nous intervenons 3 fois par semaine dans des maisons pour tous ou des maisons de quartier (celle des beaux arts (Frédéric Chopin), d’Aiguelongue (Albert Dubout) et de la Mosson (Louis Feuillade)). Dans le temps, notre association participait aux TAP (Temps d’Animation Périscolaires). Ce dispositif n’existant plus, nous nous sommes réorientés vers les publics de la reconversion et de la formation continue. Cette année, l’association va aussi proposer du contenu sur les films d’animation. Les formations proposées sont systématiquement axées sur la pratique du public qui nous reçoit.

Pour 10ruption, dans l’interview vidéo qui suit, Salim nous présente ECDC, puis nous explique la méthode Arcadémie, cette méthode d’enseignement innovante qui met l’apprenant au coeur même de son propre processus d’apprentissage. Et au passage, il nous dit comment il stimule l’innovation autour de lui.


Salim, comment tu définis l’innovation dans ton domaine?

Pour ECDC, ça commence par respecter le champ dans lequel nous nous trouvons. C’est pour ça que j’ai imaginé Arcadémie et le travail de l’association ECDC comme une interface qui vient épouser les contours d’un existant pour le compléter, sans chercher à le contredire ni le dévaloriser. Quand tu arrives dans une structure scolaire, il faut respecter les savoirs des uns et des autres et s’appuyer sur l’équipe en place. Par exemple, le professeur de maths ou de physique enseignera la programmation, celui d’histoire/géographie, le scénario, le professeur de langue s’occupera de l’interface pour la gestion des langues, ceux d’arts plastiques et de musique seront responsables des assets graphiques et musicaux. L’innovation, pour qu’elle soit comprise, doit s’insérer dans l’existant. Elle doit d’être comme les matières qui habillent les gens, confortable et agréable à porter. Cela doit correspondre à un besoin et à un bien être; elle doit coller à la vie des gens. Il faut penser l’innovation en terme d’ergonomie.
Enfin, elle doit être partagée avec les personnes et ne doit pas se cantonner aux outils. Nous, les gens, sommes en général trop peu acteurs de l’innovation. En résumé, comme le dit Benjamin Franklin : “Tu me dis, j’oublies; tu m’enseignes, je me souviens; tu m’impliques, j’apprends.

Dans son long parcours atypique, Salim a obtenu de nombreux prix et distinctions d’innovation. Dans la suite de l’interview, il nous explique comment ces prix ont été des sésames qui lui ont permis de créer et développer ECDC et la fameuse méthode Arcadémie. Ce parcours est une vraie démarche d’innovation, avec ses succès, mais aussi ses échecs. Et surtout, des rencontres et des projets incroyables… Mais lisez plutôt !

Dis-nous, Salim, d’où vient l’idée d’ECDC ?

En 2012, j’étais enseignant et j’ai eu à faire à des classes particulièrement difficiles dans un lycée professionnel. C’était dur pour moi. J’ai alors proposé au proviseur de l’époque de faire participer mes élèves à un concours ‘Dis-moi 10 mots qui te racontent’. Cette idée a bouleversé ma vie, car nous l’avons fait. Et nous avons gagné le concours cette année là ! C’est un certain Jean-Michel Blanquer, à l’époque Directeur Général de l’Enseignement Scolaire, qui m’a remis mon prix : étonnant, non ? Ce succès surprise a pris tout le monde de court, à commencer par ma hiérarchie, qui me voyait comme un électron libre et qui se trouvait déboussolée par ce succès contre toute attente. Résultat des courses, j’ai été remercié, et en 4 mois, je suis passé de la Une du 20h00 de TF1… au Pôle Emploi ! Loin de me laisser abattre, j’ai ressenti le besoin de créer un projet qui me ressemble. J’ai voulu qu’il soit à la fois Éducatif, Créatif, Divertissant et forcément, Culturel. L’idée d’ECDC est partie de là.

En 2014, j’ai participé à la Gacha d’Ubisoft [ou Game Challenge!, une game jam organisée par Ubisoft et d’autres partenaires, comme l’ETPA, l’année dernière]. Les équipes y sont constituées au hasard. Le thème, donné au lancement de la game jam, était le suivant : un moine qui se déplaçait lentement dans Tokyo pour distribuer la paix ou quelque chose dans le genre. Pendant cette game jam, j’ai découvert que le fait de fabriquer un jeu était en fait hyper pédagogique, c’est à dire qu’au lieu de suivre des leçons classiques, il était possible de fabriquer un jeu vidéo en lieu et place du contenu éducatif. A partir de ce constat, j’ai imaginé une méthode, que j’ai baptisée Arcadémie. J’ai rencontré le délégué du préfet de l’époque qui m’a suggéré de présenter le concours “Talents des Cités” qui est traditionnellement remis au Sénat. J’ai passé le pitch de “Talents des Cités” sur Montpellier, en présentant mon projet sur 2 axes: un centre culturel numérique mobile dans les territoires, un studio de jeu vidéo dans lequel nous accueillons des développeurs juniors pour qu’ils fabriquent des jeux incluant des contenus thématiques sur les programmes de chaque année. Huit jours après j’ai reçu un message comme quoi j’avais obtenu le prix des Talents des cités / Emergence.

Ce prix m’a ouvert les portes des TAP (Temps d’Animations Périscolaires), et l’association a pu intervenir directement, après l’école, dans les établissements primaires de la ville de Montpellier. C’est à cette époque que j’ai eu l’idée de créer sur une année scolaire (2014-2015), sur 6 mois, un jeu vidéo complet, fabriqué par des élèves d’un réseau d’école allant du cours préparatoire jusqu’à l’université. Avec Montpellier et Nîmes, nous avons fait des assets dans 2 collèges différents avec les professeurs d’arts plastiques; nous avons fait l’atelier de sound design avec Christophe Héral, le compositeur et sound designer qui a beaucoup bossé pour Ubisoft; nous avons réalisé l’écriture musicale avec la classe d’option musique du lycée Jean Monnet; nous avons développé l’interface de programmation avec Jérémie Belleville du studio indépendant The Games Bakers; tous les dessins ont ensuite été intégré et animé par les étudiants de BTS du lycée Jean Monnet option Design. Chaque classe a travaillé 2 semaines, à peu près. Nous avons fait les voix des personnages tout à la fin, et une game jam a été organisée à la médiathèque Federico Fellini avec des professionnels du jeu vidéo. Le résultat de ce projet s’appelle Camille et le Maître cube.

L’année scolaire suivante (2015-2016), j’ai voulu travailler avec deux académies en même temps. C’était l’époque des fusion des régions. J’ai voulu transformer la future région Occitanie en une carte de jeu géante. Nous allions travailler cette fois avec 3 villes : un lycée (Nîmes), des collèges (Toulouse) et des écoles primaires (Montpellier). Mais le projet n’a pas fonctionné: techniquement c’était trop lourd et l’Académie de Montpellier, sensée être notre principal partenaire, n’a pas adhéré au concept. Nous nous sommes retrouvés au final avec un jeu qui fonctionnait mais qui était plus un démonstrateur technique que pédagogique. Il fallait revenir à nos fondamentaux et repenser un projet éducatif ancré dans le temps scolaire et impliquant davantage les élèves, par le prisme du jeu vidéo. Le jeu s'appelle Fusion et Métamorphoses (Octobre 2015 à juillet 2016).
Tableau final du jeu, hommage au patrimoine de la ville de Montpellier!

Séance de sound design, à imaginer un monde à naître !

L’affiche officielle du lancement du jeu “Fusion & Métamorphoses”, le 1er juillet 2016

Sous la map du jeu, la région Occitanie naissante !

Storyboard original de la séquence d’introduction du premier niveau de “Fusion & Métamorphoses”, qui allait devenir un mélange de prises de vues réelles et de CGI !

”Emile le crocodile”, sculpture 3D réalisée par Emmanuel CUTILLAS

L’année scolaire suivante (2016-2017), j’ai tiré l’enseignement de la claque reçue pour “Fusion & Métamorphoses”. J’ai donc voulu faire un projet plus raisonnable, avec un lycée en Lozère et des écoles primaires de Montpellier du quartier de la cité Gély, et un final en résidence artistique (mai 2017) dans un lycée avec des artistes professionnels du jeu vidéo. Une résidence d’un semaine pour produire du code, du son et de l’image pour fabriquer un jeu vidéo complet avec des lycéens. J’étais entouré d’une équipe de luxe avec moi, pour coacher les élèves : Bastien Grivet et Jessica Rossier (de Wardenlight studio), Mathieu Sancho pour le character design, Yann van Der Cruyssen pour le sound design. Chaque soir, il y avait un séminaire sur les métiers du jeu vidéo donné par les coaches. Bien nous en a pris car le projet a remporté le Prix de l’Audace Artistique et Culturelle de 2017. C’était d’ailleurs la première fois que cette distinction était décernée à un projet numérique. Et l’Académie de Montpellier a également été couronnée de ce prestigieux 1er Prix pour la première fois, achevant de nous donner son agrément pédagogique officiel.

Mais l’année 2017 m’a également permis de réaliser un rêve… Trois ans plus tôt, en 2014, au moment de retourner me former à la fac, je cherchais des systèmes de jeu alternatifs avec des expériences différentes. Dans ce but, je fouillais les bacs de jeux vidéo d’occasion. J’ai découvert à ce moment là la Kinect [périphérique destiné au matériel Microsoft avec la Xbox 360 pour la V1 et la Xbox One et Windows depuis la V2 permettant de contrôler une interface sans utiliser de manette]. Et j’ai découvert un jeu complètement fou, Child of Eden créé par Tetsuya Mizuguchi (célèbre game designer japonais qui a participé à la création des célèbres jeux Sega Rally Championship, Space Channel 5 et Rez). Ce jeu propose un univers très positif où il ne faut pas tuer des gens mais où il faut nettoyer l'atmosphère, ramener la vie, rendre la Terre plus belle : l’interface et la musique étaient extras ! En 2016, grace à Facebook, j’ai contacté Mr Tetsuya Mizuguchi. Je lui ai proposé de faire une collaboration franco-japonaise avec mon équipe. 3 mois après, il me répond qu’il n’a pas le temps cette année, mais peut être l’année prochaine. Je l’ai donc re-contacté l’année suivante, en lui expliquant mon parcours, mes réalisations, et que je trouvais que mon approche était similaire à la sienne. Et je lui propose de faire un Skype. Il m‘a répondu “oui”. Nous nous sommes contactés. Il m’a alors dit qu’il venait en Europe très bientôt et qu’il ne connaissait pas Montpellier et qu’il souhaitait me rencontrer à cette occasion. J’ai préparé sa venue en organisant une conférence commune chez ACFA Multimédia, et j’ai voulu lui faire une surprise, en lui créant un jeu uniquement pour lui qui imite son style. Il est venu à Montpellier le 7 juillet 2017. Je lui ai fait découvrir “mon” Montpellier et Tetsuya Mizuguchi a littéralement été charmé par la ville. Le jeu que nous lui avons concocté s’appelle : Escape. C’était un peu ma propre histoire à moi, ce jeu. Avec une volonté d’hommage à la scène électro de Montpellier, les couleurs, le style arcade. Un vrai manifeste, ce jeu !

Niveau de plateformes de “Escape”, hommage à ce style 2D caractéristique du “style Montpelliérain”

Présentation par Hugo, designer graphique de son concept visuel devant l’équipe, qui allait être retenu pour le projet final du jeu “Escape”

Le 7 juillet 2017, rencontre avec le maître incontesté du jeu vidéo expérienciel et musical, Tetsuya Mizuguchi, à Montpellier. Fabuleux moment, totalement inoubliable, dans ma boutique favorite, “Pomme de Reinette” !

Le concept final du personnage d’Escape, qui est devenu, avec le temps, la mascotte d’Ecdc !
Un petit scoop, sur le futur proche ?
2020 sera une grande année pour ECDC car nous allons lancer le “Arcadémie Camp”, notre premier festival jeunesse dédié à la découverte et à la pratique des industries culturelles et créatives, et qui s’adressera aux pré-ados, aux ados et aux jeunes adultes en priorité (public des 10-26 ans) et d’une façon plus générale à tous ceux qui ont envie de créer en s’amusant. Le cadre choisi est la Secret Place, à St Jean de Védas, près de Montpellier, un lieu traditionnellement dédié aux musiques actuelles, avec une salle de concert, des locaux de répètes, un studio d’enregistrement et un grand patio qui seront entièrement mis à disposition du Arcadémie Camp ! On y réalisera des jeux vidéo, des séquences d’animation, de la musique, ensemble. L’idée est vraiment de permettre au grand public d’accéder à des processus créatifs traditionnellement réservés aux professionnels ou à des formations supérieures inaccessibles à la plupart.
Le comité d’organisation du “Arcadémie Camp” va tenir sa première réunion, à la Secret Place, à St Jean de Védas, en partenariat avec l’association “Tout à Fond”, ce jeudi 16 janvier 2020, dès 18h00, et je précise qu’il est ouvert à toutes les bonnes énergies… Welcome !

Merci Salim, d’avoir partagé ta vision sur l’innovation. Et merci pour le partage de toutes ces photos !

Très bonne continuation !

#ParlonsDInnovationAvec
Crédits photos : Salim Zein - ECDC ©

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