Interview du 23 novembre 2018 réalisée par rOmain Thouy à Nîmes
16ème article d’une série d’interviews réalisés sur la gestion de l’innovation dans le domaine des industries créatives (jeux vidéo, films d’animation) de la région Occitanie.
Thomas Séguy, chargé de communication chez Créajeux (Nîmes).
L’école Créajeux existe depuis 2004. Elle accueille plus de 290 étudiants, soit à peu près une vingtaine d’étudiants par classe. Ils sont accompagnés par une vingtaine d’enseignants permanents et plusieurs intervenants externes (master class, stages d’été, etc.), qui ont chacun leur spécialité.
L’école propose deux cursus principaux : infographiste 2D/3D temps réel et programmeur spécialisé jeux vidéo sur 3 ans, une prépa jeux vidéo d’un an optionnelle et des spécialisations cinématique et game production en 4e année optionnelles également.
“Nous proposons également des formations courtes, un summer camp découverte de la création de jeux vidéo d’une semaine pour les 14-18 ans. Deux formations sur deux semaines pour les graphistes l’une sur la suite substance, l’autre au digital painting & concept art. Enfin nous proposons une formation de testeur qualité sur 6 semaines qui est d’ailleurs à ma connaissance la seule en France.”
Formation : Bac pro commerce, puis formation communication et webmarketing.
"Après mon bac, que j’ai suivi par défaut, j’ai rapidement travaillé en grande surface (pendant 2 ans). Puis, j’ai passé 7 ans à remplir des caisses de matériel médical au centre anticancéreux de Montpellier : j’ai voulu évoluer, et mon boss et la RH de l’époque m’ont dit que je ne pouvais pas évoluer. J’ai pris une grosse claque. En 3 mois, j’ai décidé de prendre un congés sans solde, de suivre une formation dans la communication et le webmarketing de 6 mois. A cette occasion, j’ai rencontré des personnes du jeu vidéo : comme j’étais passionné de jeu vidéo, j’y ai vu comme un signe ! Ensuite, j’ai fait un stage de 3 mois chez Midgar Studio, en tant que community manager. Je faisais un peu tout, j’ai appris plein de chose, j’ai travaillé en grande partie sur le kickstarter de Edge of Eternity, sur la stratégie de reward, la structure du kickstarter.”
“J’ai enchaîné sur 3 mois de CDD dans le même studio.
Ensuite, j’ai travaillé avec la CCI de Nîmes sur un projet de parc d’attraction de jeu vidéo, qui n’a malheureusement pas vu le jour pour des raisons politiques qui me dépassaient. Je reste convaincu que c’était une idée fantastique.
J’ai ensuite intégré Créajeux en tant que chargé de communication (nous sommes deux actuellement à ce poste, avec Lucie Christen).
Nous nous occupons du site web (nous faisons nous-mêmes les mises à jour), de la communication de l’école sur les réseaux sociaux, et plus largement de toute la communication de l’école. Et à ce titre, nous nous occupons aussi de la communication interne, surtout depuis notre arrivée : nous avons mis en place un Discord. Nous essayons de simplifier les processus au maximum pour que l’information circule bien dans l’école. Nous nous occupons aussi de notre présence sur les salons, pour montrer les particularités de notre école. Nous avons beaucoup d’autonomie sur ce poste.”
Bonjour Thomas, tout d’abord, comment définis-tu l’innovation dans ton domaine?
Bonjour rOmain.
Dans le jeu vidéo, l’innovation est d’abord technologique mais dédiée à la créativité. Dans le domaine de la formation, nous devons en priorité nous adapter aux besoins de l’industrie, donc nous devons être à l’écoute des innovations de l’industrie, pour mieux nous y adapter et former nos étudiants à ces innovations.
Dans le jeu vidéo, l’innovation est d’abord technologique mais dédiée à la créativité. Dans le domaine de la formation, nous devons en priorité nous adapter aux besoins de l’industrie, donc nous devons être à l’écoute des innovations de l’industrie, pour mieux nous y adapter et former nos étudiants à ces innovations.
Comment est portée cette innovation dans l'école ?
L’innovation est dans l’ADN même de l’école, puisque quand Eric Bonnet a décidé de la créer, il y a 15 ans, ce type d’école n’existait pas encore. Notre stratégie est en lien avec notre rôle qui est de former des étudiants capables de travailler dans l’industrie. C’est pour cela que nous créons des partenariats, comme par exemple avec Wysilab et leur logiciel Instant Terra ; avec Allegorithmic et leur suite Substance. Nous entretenons également d’étroites relations avec un grand nombre de studios.
Un autre axe stratégique consiste à nous adapter aux besoins des étudiants. Je vais prendre l’exemple de la partie production : nous avons mis en place une option d’un an de Game Production. Pourquoi ? Nous nous sommes rendus compte qu’il y avait beaucoup d’étudiants de la nouvelle génération qui avaient comme ambition de proposer eux-mêmes leurs projets, leurs concepts, leurs game designs, etc.. Il y avait donc une forte demande de leur part pour pouvoir créer leur propre studio. Nous avons également répondu à cette demande en créant l’association CreaDev, l’incubateur de l’école qui s’adresse aux étudiants de 3ème année. Nous leur fournissons un support, d’abord logistique en proposant des locaux et nous les appuyons ensuite sur la partie production du jeu (communication, élaboration d’une campagne kickstarter...).
Les trois personnes en charge de la stratégie pédagogique de l’école sont Colin Bruneau, Alexandre Terrier et Fabrice Levacher et sont, respectivement, responsables des parcours programmation, production et infographie.
Quand nous observons le marché d’aujourd’hui, nous pensons qu’il est plus pertinent de former des techniciens programmeurs et graphistes que des game designer, où il y a très peu de débouché. C’est un choix stratégique.
Pourquoi est-ce si important d’innover ?
Pour rester le plus possible en adéquation avec les standards de l’industrie !
Nous sommes constamment en mode itératif, en train de tester de nouvelles choses, donc oui, c’est important, mais pas obligatoire. Il y a des studios qui n’innovent absolument pas, et ce n’est pas un mal ! Un studio peut très bien faire un jeu de monde ouvert qui n’est pas innovant mais qui est excessivement bien fait, et qui fera un très bon jeu au final, même sans innovation flagrante. Dans tous les cas, l’innovation doit être au service de quelque chose, donc son importance dépendra du service qu’elle rend.
Comment faites-vous pour innover ?
Les enseignants sont autonomes sur leurs méthodes, cependant nous échangeons, régulièrement, entre nous et avec Eric Bonnet (directeur-fondateur de Créajeux). Quand nous le sollicitons, Eric nous donne son avis plus que sa validation, et la plupart du temps, il nous encourage à faire, à mettre en oeuvre nos idées, ce qui est très pertinent à mon sens : la confiance est donnée aux personnes de l’équipe, c’est très important dans le processus d’innovation. Et cette même notion est présente dans les projets pédagogiques avec les étudiants. Régulièrement, des étudiants disent à nos enseignants « vous aviez vu qu’on allait se planter ? ». Nous avons toujours à l’esprit ce questionnement : est-ce que nous devons montrer à nos étudiants qu’ils vont se planter, ou simplement leur dire, ou encore les laisser se planter, pour qu’ils reviennent en arrière et qu’ils corrigent : nous sommes toujours dans une démarche de tests. La démarche globale est de toujours tester ses idées, quitte à se planter, car c’est le secret d’un apprentissage efficace mais elle permet aussi de trouver des choses plus pertinentes et performantes, aussi bien pour nos étudiants que pour le fonctionnement de notre école. Paradoxalement, nous sommes dans une société qui montre du doigt l’échec...
Pour revenir sur nos processus, il y a une réunion annuelle de bilan sans la direction qui se tient l’été, après l’année scolaire. Chacun prend le temps d’exposer ses points de vue et avis sur l’année écoulée, les points négatifs et positifs, les difficultés rencontrées, les propositions d’améliorations. Nous prenons tout en note et ensuite nous échangeons, sur cette base, avec la direction, qui a ensuite le reste de l’été pour prendre en compte ces éléments et proposer des changements. Tous les lundi, nous faisons aussi des réunions entre les professeurs et les responsables de filières (ou responsables pédagogiques). Ces réunions font l’objet de comptes rendus qui sont ensuite partagés avec tous les professeurs afin qu’ils soient tenus informés de ce qui s’y est dit. Tout le monde est force de propositions. En tant que chargés de communication, Lucie et moi sommes souvent le relais de ces propositions : les professeurs viennent directement nous voir pour nous proposer des choses à faire sur la communication interne. La porte d’Eric (le directeur) est toujours ouverte pour tout le monde, y compris les élèves. Nous n’avons pas un fonctionnement très hiérarchisé ; nous pouvons le voir quand nous le voulons, et réciproquement. Finalement, notre fonctionnement est assez proche de celui d’un studio indépendant. Dans un studio indépendant, tu peux t’autoriser plus de chose. Dans l’école, nous avons cette même ouverture d’esprit. Et nous sommes aussi beaucoup à l’écoute de l’extérieur, de ce qui se fait ailleurs.
Je trouve qu’à Créajeux, il y a plein de personnes avec des compétences hors normes ! Par exemple, quand j’ai une idée d’un truc pour un salon, je vais voir Fabrice qui sait vraiment tout faire et qui va me dire comment réaliser mon idée, ce qui va être complexe, ce que je peux essayer, sans pour autant juger mon idée. Il va m’aider à la faire mûrir, à la rendre réelle.
Chaque porteur d’idées va faire mûrir ses idées en discutant avec d’autres personnes, et voir comment la mettre en oeuvre, puis il va en discuter avec Eric pour avoir également son avis : s’il n’est pas vraiment d’accord, il nous pousse à argumenter, mais en général, il nous dit de faire les choses, simplement parce que nous y croyons et que c’est dans notre domaine d’activité. Pour résumer, nous avons vraiment beaucoup de liberté d’actions et nous sommes bien entourés pour les mener à bien.
Autre exemple, nous avons des professeurs qui proposent des ateliers sur des thèmes précis, un atelier robotique ou encore un atelier sur les modèles vivants, qui a lieu le soir : ces ateliers sont très pertinents pour les étudiants. Les professeurs dont il est question sont libres de faire ces ateliers, aux heures qu’ils souhaitent, en dehors des cours officiels.
Comment stimulez-vous l’innovation chez Créajeux ?
Comme je te l’ai dit, en laissant les porteurs d’idées les réaliser. Nous proposons aussi des game jams qui se font sur 2 jours, en semaine, mais sans les nuits, pour permettre aux étudiants qui y participent d’être performants tout au long de la game jam.
Nous avons également noué des partenariats, l’un avec la clinique de rééducation visuelle ARAMAV, l’autre avec la fondation I2ML, qui a pour but d’améliorer la qualité de vie des personnes âgées. Ces partenariats vont permettre à nos étudiants de travailler sur des projets de “serious game” médicaux.
Et puis nous organisons aussi des master class, des formations d’été, où nous faisons intervenir des professionnels inspirants de l’industrie. Il y a eu, par exemple, la formation “Digital painting & concept art” de Bastien Grivet (Wardenlight Studio). Nous faisons appel aussi à des intervenants extérieurs (Ubisoft, de 1492 Studio et bien d’autres) pour nos jurys de fin d’année (ou fin de cursus). Les jury de professionnels sont obligatoires pour les 3ème année, mais si des projets de 1ère/2nde année sont intéressants, alors il nous arrive de les présenter au jury de professionnels.
Un petit scoop, sur le futur proche ?
Venez nous rencontrer à nos journées portes ouvertes ou sur les prochains salons !
Merci Thomas, d'avoir partagé ta vision sur l'innovation.
#ParlonsDInnovationAvec