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mercredi 28 novembre 2018

Parlons d'innovation avec ...

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Hervé Masseron de Moonycat Entertainment

Interview du 12 octobre 2018 réalisée par rOmain Thouy à Montpellier


9ème article d'une série d'interviews réalisés sur la gestion de l'innovation dans le domaine des industries créatives (jeux vidéo, films d'animation) de notre région (ndlr : l'Occitanie).

Hervé MasseronHervé Masseron, directeur du studio Moonycat Entertainment, cofondé en 2016 avec Roxane Domalain. Hervé et Roxane avaient travaillé sur Valiant Hearts au sein d'Ubisoft Montpellier. Ils ont décidé de s'associer car la complémentarité création/communication est 1/ essentielle pour parvenir à avoir de la visibilité sur le marché 2/ impossible d'être ambitieux si on ne tient pas compte de l'ensemble de l'équation création/vente. Dans le studio, Hervé s'occupe de tout ce qui est création et production, et Roxane de tout ce qui est marketing et business.
Formation : école de cuisine, puis autodidacte dans plusieurs domaines : narrateur, infographiste 2D puis 3D, storyboarder, réalisateur...
  • son 1er jeu : Rayman
  • son 1er gros succès : Soldats inconnus
  • son dernier gros succès : La création de Moonycat Entertainment
"Je suis autodidacte. J'ai fait une école de cuisine car il fallait bien faire quelque chose pour rassurer mes parents, mais ça m'a appris plein de choses. J'ai eu la chance d'être synchronisé avec l'apparition des toutes premières bornes d'arcade : Pong, space invaders..., de voir apparaître les premières consoles de jeux individuelles, de pouvoir utiliser les premiers logiciels graphiques...
J'aime tous les aspects de la culture, livres, films, musées, spectacles vivants, jeux vidéo, avec une préférence pour ceux qui ont une histoire à raconter. Ma formation de narrateur a commencé avec le jeu de rôle. Mon coeur de métier, c'est la narration, je suis un conteur audiovisuel. Mais je n'ai pas commencé par là. J'ai commencé par apprendre à dessiner, tout seul, à apprendre à me servir des premiers logiciels en 16 couleurs, à la souris, sans tablette. Et cela m'a permis de rentrer comme infographiste à la télévision. Là, j'ai fait à peu près tous les corps de métier touchant visuellement de près ou de loin à la narration : réalisation, direction artistique, écriture, infographiste 2D puis 3D. A chaque fois, je me suis formé tout seul. J'ai travaillé sur les premières palettes graphiques, comme la Paintbox, la Getris. C'était le début de tout ! A l'époque, on galérait à faire du fond vert pour les incrustations. Mais c'était très amusant. Puis est arrivé le super projet ''les aventures d'Alban'' qui m'a amené à m'installer sur Montpellier dans les années 90. Il s'agissait de produire et fabriquer une des premières séries entièrement sur ordinateur. Ce projet a malheureusement été mal géré et il a été abandonné, alors que nous avions déjà réalisé la totalité de l'animation de cette série de 13x26 épisodes... La série mélangeait des dessins traditionnels et des décors de synthèse. Même s'il n'a pas abouti, ce projet a permis à beaucoup de monde de se rencontrer."
"Et c'est comme ça que j'ai commencé à travailler avec Michel Ancel sur le premier Rayman. Puis Ubisoft a été créé, j'ai travaillé sur plusieurs de leur jeux. Je faisais surtout du storyboard, de la réalisation de cinématique, de la mise en scène. J'ai continué à écrire des storyboards pour divers studios de séries d'animation pour la télévision (Londres, Paris, …). J'ai travaillé par exemple sur ''Totally spies'', ''le Marsupilami'', ''SpieZ ! Nouvelle Génération''. J'ai storyboardé et réalisé les cinématiques de l'adaptation en jeu vidéo d'''Alice au pays des merveilles'' de Tim Burton, storyboardé les cinématiques de ''The Legend of Spyro''..."

Bonjour Hervé, tout d'abord, comment définis-tu l'innovation dans ton domaine ?

Bonjour rOmain. Il y a toujours un aspect bloquant dans le concept d'innovation selon qu'il est entendu par le profane, le professionnel ou l'institutionnel. Chacun y entend quelque chose de différent. Il y a tellement de moyens d'être innovant… Personnellement, je suis plus partisan de l'innovation créative que technologique. Je préfère utiliser la technologie de manière créative que d'avoir une création basée sur une technologie. Si, avant, seuls les brevets étaient capables de rapporter des fortunes, il semble clair aujourd'hui qu'il en est de même avec les propriétés intellectuelles. Beaucoup de gens n'ont pas encore compris cela.
L'innovation, c'est aussi d'aller là où ça fait peur, de sortir de sa zone de confort. A ceux qui viennent travailler à Moonycat, j'aime présenter le projet de la manière suivante : ''voilà, vous allez embarquer sur la ''Niña'' (une des caravelles de Christophe Colomb) et je vous propose d'aller découvrir ensemble les Amériques. Je ne connais pas la longueur de la traversée, ça ne va pas être facile, nous risquons parfois de crever de faim, mais bon l'Amérique quoi...'' et cela fonctionne… Ce projet est devenu possible grâce à la folie de sa proposition, il a contaminé nombre de personnes qui se sont liguées et ont travaillées ensemble pour faire que ce projet voit le jour. Le jour où nous devrons faire des remerciements, il va falloir un second générique. Si on ne s'était basé que sur des données économiques, le projet n'aurait jamais vu le jour.
L'innovation est un acte de création, de technicité et d'audace. Globalement, en France, je regrette le manque de prise de risque des investisseurs : juger de la qualité d'un projet avant qu'il soit fait, ils ont vraiment du mal. En France, il n'y a pas cet esprit du risque qui existe dans la culture anglo-saxonne ; mais heureusement on commence à avoir un véritable réseau d'aides publiques pour permettre à des projets de voir le jour. Je dirai même que dans le domaine du jeu vidéo, le secteur public est en avance sur le secteur privé ; incroyable mais vrai.

Comment portes-tu cette innovation ?

En tant que directeur créatif je suis le garant de l'innovation. Nous ne développons pas à proprement parlé d'innovation technologique. Nos innovations sont ''dites'' d'assemblages. Pour nous, l'innovation c'est le mélange de la création et de la programmation assujetti à des mécaniques de jeu et des techniques de narration. L'innovation termine son chemin sous les doigts du programmeur. Nous utilisons beaucoup des technologies ''procédurales'' et développons plusieurs types d'intelligences artificielles pour gérer de nombreux paramètres dans notre jeu. Je dirai que je passe 50% de mon temps sur l'innovation, la création. Et je dois gérer aussi la société, l'équipe, l'écriture, les recherches graphiques, les feedbacks...

Pourquoi est-ce si important d'innover ?

C'est un peu dans l'ADN de notre projet. Être innovant c'est être différent, être visionnaire, donc reconnaissable, et être porteur d'un nouveau désir. Moonycat se veut être tout cela. Nous avons pris du temps la première année à bien réfléchir à comment nous allions nous y prendre. Nous avons fait un long chemin, qui a commencé par présenter le projet dans des écoles afin d'y recruter les premiers membres de notre équipe et de préparer des dossiers bétons afin de pouvoir entrer dans un incubateur.
Nous avons eu le plaisir d'être sélectionné par le BIC [Business Innovation Center] de Montpellier, un des meilleurs incubateurs mondiaux. Avec Metaphora, le jeu que nous sommes en train de développer, nous allons créer tout un univers, à partir duquel nous pourrons réaliser de nombreux jeux. Metaphora est la colonne vertébrale de l'édifice. Metaphora est un énorme projet. Je n'arrive pas à faire petit, c'est un peu mon défaut, je suis un genre de Don Quichotte avec des bouts de Kubrick dedans… Fabriquer un jeu vidéo est aussi un challenge technologique ; en termes d'optimisation et de flux des données mais aussi dans le choix des outils à développer et de l'ambition créative du projet. Pour parvenir à émerveiller les joueurs, chaque jeu doit apporter son lot d'innovations, créatives et/ou technologiques. Notre objectif est de parvenir à faire un jeu mêlant harmonieusement gameplay et narration ; de proposer quelque chose de plus ''familial'' dans le sens noble du terme.

Comment fais-tu pour innover ?

Innover ça commence par réfléchir à ce qui est et à ce qui manque… Il est possible d'innover dans tous les secteurs d'activités. Pour nous, innover, c'est offrir quelque chose de différent, d'inattendu ; mais pour y parvenir il nous faut déployer beaucoup de technicités. Comme le savent les magiciens, créer l'illusion demande parfois beaucoup de moyens techniques. Le jeu vidéo est un immense tour de magie. Innover c'est aussi anticiper. Comme je ne peux pas me permettre de me planter en production, nous passons beaucoup de temps en pré-production. La pré-production, c'est là où se créée l'innovation. Cette innovation se transforme alors en prototype : narratif, graphique, technique... Nous faisons tester nos prototypes à chaque étape pour tenir compte des retours utilisateurs. Notre jeu est très ambitieux : beaucoup de gameplay et beaucoup d'histoire ! Je veux quelque chose d'homogène afin que le joueur ait un plaisir à la fois ludique et narratif. Pour y parvenir il faut créer des mécaniques de jeu et développer des outils qui permettront de transformer un désir en plaisir.
Au niveau processus, j'ébauche une idée et je la laisse reposer dans un coin, je fais autre chose. Ensuite, je reviens dessus une à deux journées après. J'ai beaucoup de cahiers, de fichiers, avec des idées comme ça. Si ça ne me plaît pas, je recommence le cycle, ou j'arrête et je passe à autre chose. Si à un moment donné je suis bloqué, comme j'ai beaucoup de choses à faire différentes, je change d'activité, je fais autre chose. Il faut donner du temps au temps. L'important c'est d'avoir bien incorporé les problèmes pour laisser son cerveau tranquillement détricoter tout cela. Et après les idées poussent. Ensuite, quand j'estime que l'idée est suffisamment aboutie et concrétisée, je la partage autour de moi pour avoir un retour : ça peut être avec la première personne qui passe, si je suis au studio ou ailleurs. Par exemple, sur le game design, je vais voir mon programmeur ou les level designers ; pour l'écriture, j'ai des amis autour de moi, à qui j'envoie mes ébauches pour qu'on échange dessus. Et au final c'est l'approbation de l'équipe qui donne le ''la''.

Allez, Hervé, tu peux m'en dire un peu plus ?

En ce moment nous travaillons sur le développement d'une intelligence artificielle dédiée à la narration. Pour innover il faut chercher, il faut tester ; trouver le bon outil. Cet outil innovant va nous permettre de gérer dynamiquement la narration de notre jeu.

Comment stimulez-vous l'innovation chez Moonycat Entertainment ?

La passion que nous avons sur ce projet irradie dans l'équipe et la stimule. Tout le monde dans son domaine se tient au courant des développements liés à sa profession et chacun partage avec les autres ce qu'il estime avoir une importance. Je laisse de la liberté aux personnes sur le ''comment faire'', je suis plutôt sur le ''quoi'' ou le ''pourquoi''. J'ai la chance de savoir fabriquer, donc ça me permet de pouvoir intervenir à plusieurs niveaux pour maintenir un niveau de qualité tout en laissant de l'espace pour que chacun à son poste puisse proposer une solution qui parfois peut s'avérer innovante, car concrète.
Côté stimulation, je fais beaucoup de veille créative et technologique : je passe plusieurs heures par semaine à regarder le travail des gens qui produisent des jeux dans le monde. Je regarde des conférences, j'épluche les sites graphiques comme Pinterest et ArtStation et je partage.

Un petit scoop, sur le futur proche ?


Pas de scoop pour l'instant, mais qui sait bientôt peut être...

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Merci Hervé, d'avoir partagé ta vision sur l'innovation.

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