Frédéric Markus de Feerik Games
Interview du 12 octobre 2018 réalisée par rOmain Thouy à Montpellier
10ème article d'une série d'interviews réalisés sur la gestion de l'innovation dans le domaine des industries créatives (jeux vidéo, films d'animation) de notre région (ndlr : l'Occitanie).
Frédéric Markus, président directeur général de Féérik Games. Frédéric a racheté Feerik il y a 3 ans et demi. En tant que directeur, il s'occupe de diriger le studio de A à Z, donc de la comptabilité, de la gestion des ressources humaines, mais aussi de design, et ça lui arrive même de coder ! Frédéric enseigne également le game design et l'histoire à e-artsup.
Formation : Programmation assembleur sur zx81 et MSX à la maison la nuit, BTS informatique industrielle le jour.
- son 1er jeu : Starush, un shooter à la Gradius
- son 1er gros succès : Midtown Madness
- son dernier gros succès : Monter le design lab pour Epic Games
"J'ai appris à programmer en assembleur quand j'avais 16/17 ans, et j'ai eu mon premier job chez Titus [éditeur de Crazy Cars en 1987, par exemple], puis j'ai rejoint Michel Ancel, au début d'Ubisoft, pour démarrer les jeux consoles. Nous avons commencé à programmer les consoles Super Nintendo, Jaguar et j'étais à la fois programmeur et producer. C'est à ce moment là que nous avons démarré Rayman, j'en ai été le premier producer.
Ensuite, après quelques mois de détente à l'étranger, je suis parti aux états-unis chez Infogrames [éditeur de Alone in the dark, Outcast, V-Rally, entre autres], toujours pour travailler en production et programmation, même si c'était le design qui m'intéressait. Et j'ai eu un bol incroyable à ce moment-là : je suis allé visiter le studio Angels Studios du côté de San Diego, avec Mark Jackson, mon boss de l'époque. Et je suis tombé sur Shigeru Miyamoto [co-créateur des franchises Super Mario, Donkey Kong, The Legend of Zelda, Star Fox, F-Zero et Pikmin pour le compte de Nintendo ; certains des jeux de ces séries sont considérés comme les meilleurs de leur génération, comme Super Mario Bros., Super Mario 64 ou The Legend of Zelda : Ocarina of Time] et son équipe qui faisaient le lancement de la Nintendo 64 et de certains jeux.
Je suis revenu de cette rencontre un peu chamboulé parce que j'avais vu tout ce qui allait se passer en 3D dans les 10 à 15 ans à venir ! C'était comme Steve Jobs qui visitait Xerox Parc pour le Mac ! Et du coup, ils m'ont pris comme Game Designer et je suis parti bosser là-bas. Et pendant 2 ans et demi, j'ai travaillé au côté d'un mentor de chez Nintendo Japon, Shigeki Yamashiro, qui m'a éduqué sur le game design à la sauce Nintendo, à savoir, comment ils font leurs jeux, comment ils prototypent, comment ils font leurs mécaniques et leurs règles, quelle était leur philosophie, etc.
Dans la foulée, nous avons fait deux jeux, puis nous sommes partis au Japon pour signer Capcom, nous avons fait le jeu Red Dead Revolver (le premier de la série). Nous avons alors été racheté par Rockstar parce que nous avions fait un jeu de voitures qui s'appelait Midnight Club, qui venait de la série Midtown Madness dont j'avais été le game director. J'ai décidé alors de partir en freelance pendant 4 ou 5 ans, comme game designer, pour aider des studios sur leurs pré productions : démarrage, réalisation, prototypage, clean up [littéralement faire le ménage, en fin de projet, pour aider quand tout va mal à remettre le projet sur les rails]. Puis je suis devenu directeur de la pré-production chez Ubisoft, car Ubi voulait relancer la pré-production à la manière de Nintendo, c'est-à-dire par le prototype et pas par l'histoire. J'ai donc visité beaucoup de studios Ubisoft pour accompagner cette stratégie.
Ensuite, je suis retourné aux états-unis, chez Disney Interactive, comme directeur du Design. Quand ils ont arrêté les consoles, j'ai reçu un coup de fil improbable de Lucas Arts : ils me proposaient un poste de creative director, ce que j'ai fait pendant 2 ans et demi. Et Lucas Arts s'est fait racheté par … Disney, d'où je venais ! Un de mes anciens boss m'a alors contacté pour aller travailler chez Epic Games pour monter un design lab. Là, j'ai constitué une petite équipe et nous avons travaillé sur la pré-production de Paragon et Fortnite. C'est à ce moment-là que j'ai été attiré par le design pour le jeu sur mobiles. Comme nous n'en faisions pas à Epic Games, je suis revenu en France et j'ai racheté le studio Féérik, qui allait fermer.
J'avais besoin de sortir de ces très grosses sociétés où l'argent est illimité et où nous ne sommes pas directement responsables du succès d'un jeu. Personne ne sait si un jeu a vraiment marché ; même si nous obtenons des récompenses à l'E3 [Electronic Entertainment Exposition], nous ne savons pas pourquoi. Tu peux très bien avoir un jeu qui a coûté des dizaines et des dizaines de millions de dollars et qui n'a pas gagné d'argent du tout, et ça, tu ne le sais pas. Cela m'a beaucoup perturbé. Je me suis donc demandé si je pouvais faire des jeux vidéo et gagner ma vie avec. Et ça fait maintenant 3 ans et demi que je me prends des claques dans la tronche (depuis que j'ai repris Féérik), parce que gérer un business, ce n'est absolument pas comme faire un jeu vidéo dans une société. Je voulais vraiment me frotter à ça : après 3 ans et demi, ce n'est plus la même personne qui est maintenant devant toi !"
Ensuite, après quelques mois de détente à l'étranger, je suis parti aux états-unis chez Infogrames [éditeur de Alone in the dark, Outcast, V-Rally, entre autres], toujours pour travailler en production et programmation, même si c'était le design qui m'intéressait. Et j'ai eu un bol incroyable à ce moment-là : je suis allé visiter le studio Angels Studios du côté de San Diego, avec Mark Jackson, mon boss de l'époque. Et je suis tombé sur Shigeru Miyamoto [co-créateur des franchises Super Mario, Donkey Kong, The Legend of Zelda, Star Fox, F-Zero et Pikmin pour le compte de Nintendo ; certains des jeux de ces séries sont considérés comme les meilleurs de leur génération, comme Super Mario Bros., Super Mario 64 ou The Legend of Zelda : Ocarina of Time] et son équipe qui faisaient le lancement de la Nintendo 64 et de certains jeux.
Je suis revenu de cette rencontre un peu chamboulé parce que j'avais vu tout ce qui allait se passer en 3D dans les 10 à 15 ans à venir ! C'était comme Steve Jobs qui visitait Xerox Parc pour le Mac ! Et du coup, ils m'ont pris comme Game Designer et je suis parti bosser là-bas. Et pendant 2 ans et demi, j'ai travaillé au côté d'un mentor de chez Nintendo Japon, Shigeki Yamashiro, qui m'a éduqué sur le game design à la sauce Nintendo, à savoir, comment ils font leurs jeux, comment ils prototypent, comment ils font leurs mécaniques et leurs règles, quelle était leur philosophie, etc.
Dans la foulée, nous avons fait deux jeux, puis nous sommes partis au Japon pour signer Capcom, nous avons fait le jeu Red Dead Revolver (le premier de la série). Nous avons alors été racheté par Rockstar parce que nous avions fait un jeu de voitures qui s'appelait Midnight Club, qui venait de la série Midtown Madness dont j'avais été le game director. J'ai décidé alors de partir en freelance pendant 4 ou 5 ans, comme game designer, pour aider des studios sur leurs pré productions : démarrage, réalisation, prototypage, clean up [littéralement faire le ménage, en fin de projet, pour aider quand tout va mal à remettre le projet sur les rails]. Puis je suis devenu directeur de la pré-production chez Ubisoft, car Ubi voulait relancer la pré-production à la manière de Nintendo, c'est-à-dire par le prototype et pas par l'histoire. J'ai donc visité beaucoup de studios Ubisoft pour accompagner cette stratégie.
Ensuite, je suis retourné aux états-unis, chez Disney Interactive, comme directeur du Design. Quand ils ont arrêté les consoles, j'ai reçu un coup de fil improbable de Lucas Arts : ils me proposaient un poste de creative director, ce que j'ai fait pendant 2 ans et demi. Et Lucas Arts s'est fait racheté par … Disney, d'où je venais ! Un de mes anciens boss m'a alors contacté pour aller travailler chez Epic Games pour monter un design lab. Là, j'ai constitué une petite équipe et nous avons travaillé sur la pré-production de Paragon et Fortnite. C'est à ce moment-là que j'ai été attiré par le design pour le jeu sur mobiles. Comme nous n'en faisions pas à Epic Games, je suis revenu en France et j'ai racheté le studio Féérik, qui allait fermer.
J'avais besoin de sortir de ces très grosses sociétés où l'argent est illimité et où nous ne sommes pas directement responsables du succès d'un jeu. Personne ne sait si un jeu a vraiment marché ; même si nous obtenons des récompenses à l'E3 [Electronic Entertainment Exposition], nous ne savons pas pourquoi. Tu peux très bien avoir un jeu qui a coûté des dizaines et des dizaines de millions de dollars et qui n'a pas gagné d'argent du tout, et ça, tu ne le sais pas. Cela m'a beaucoup perturbé. Je me suis donc demandé si je pouvais faire des jeux vidéo et gagner ma vie avec. Et ça fait maintenant 3 ans et demi que je me prends des claques dans la tronche (depuis que j'ai repris Féérik), parce que gérer un business, ce n'est absolument pas comme faire un jeu vidéo dans une société. Je voulais vraiment me frotter à ça : après 3 ans et demi, ce n'est plus la même personne qui est maintenant devant toi !"
Bonjour Frédéric, tout d'abord, comment définis-tu l'innovation dans ton domaine ?
Bonjour rOmain. L'innovation, c'est la mère de l'invention ! C'est une nécessité qui provoque l'innovation. Et cette nécessité peut venir de pleins de domaines différents. Par exemple, chez Nintendo, la nécessité c'est l'empathie : ils veulent que les gens arrivent à jouer à un jeu, qu'ils soient contents quand ils y jouent. Toutes les innovations de Nintendo viennent de là. Mais la nécessité peut venir d'ailleurs aussi, comme par exemple de faire tourner un business (ça rejoint ce que disait Claire Zamora, dans son interview, au sujet des jeux de niches). Plus un studio est petit, plus la nécessité sera dans la survie de ses opérations et il y aura donc des innovations dans ce sens là, comme de trouver une niche. Mais je pense que l'innovation chez les meilleurs designer vient de l'empathie. L'innovation peut être aussi poussée par les limitations technologiques. Tu dois trouver un moyen de contourner un problème. Je te propose 2 exemples de chez Nintendo, qui illustrent la nécessité d'empathie ou de contournement de contraintes techniques :
- concernant la nécessité d'empathie, prenons la difficulté pour les gens d'arriver à jouer en 3D, avec l'exemple de Mario Galaxy : la majorité des gens se perdent dans la 3D. Donc, pour éviter cette frustration, les game designer ont ajouté des planètes dans le jeu : sur une planète, si tu cours droit devant toi, tu te retrouve forcément au même endroit au bout d'un moment, donc tu ne te perds plus !
- concernant la nécessité de contourner une limitation technologique : ce que je vais dire est valable pour Fortnite, PUBG, ou encore Mario. Prenons ce dernier, par exemple. Au départ, Shigeru Miyamoto n'avait pas prévu de faire un jeu de plombiers. Il existait un gros problème technique sur les premières consoles NES, tout au début : quand il y avait beaucoup d'objets à gérer à l'écran, ceux-ci se mettaient d'abord à clignoter, puis à disparaître. Donc quand vous faites un jeu à scrolling comme Mario, où il y a des petites créatures qui vous suivent, comme les Goombas, et bien, au bout d'un moment, elles vont s'accumuler, puis à cause du problème technique, elles vont disparaître. Donc pour contourner ce problème, Shigeru Miyamoto a mis des murs pour contenir ce groupe de créatures. Mais il a trouvé que c'était moche et que ces murs n'avaient pas d'utilité au jeu lui-même. Il a décidé de les transformer en tubes, parce qu'on pouvait entrer dedans. Et c'est devenu Mario !
Une des illusions que nous nous faisons, dans le jeu vidéo, c'est de penser que parce que nous avons une idée qui tombe du ciel elle va être super innovante. Dans tous les grands jeux qui font parler d'eux, les innovations viennent très souvent d'un vrai besoin que les designers ou les ingénieurs essaient de résoudre. Pour beaucoup de sociétés, la phase avant la pré-production est une phase intense de résolution de problèmes, sans quoi, elles ne partent pas dans le projet.
Si vous vous satisfaites de la manière dont sont faits les autres jeux sans arriver à appréhender les difficultés des joueurs à jouer à ces jeux, vous ne pourrez pas voir qu'il y a un problème et donc vous ne trouverez pas d'innovation. Ce mode de fonctionnement était très présent chez Steve Jobs : il avait une hypersensibilité au bullshit, aux trucs pénibles à utiliser, et c'est ça qui poussait Apple à faire des choses simples d'utilisation. Ce qui ne veut pas dire pour autant que c'est facile à résoudre ou à fabriquer !
Comment portes-tu cette innovation ?
Aujourd'hui, la stratégie d'innovation pour Feerik Games c'est de trouver l'opportunité business, et de nous différencier. C'est moi qui porte cette stratégie. Quand on est d'aussi petite taille, l'innovation doit d'abord être une innovation de marché. Quand j'étais chez de gros éditeur, j'étais frustré par les décisions parce que je ne les comprenais pas. Je n'avais pas forcément la connaissance suffisante pour cela. Et puis beaucoup de choses étaient cachées (les chiffres, les décisions). C'est pour cela que j'ai repris Feerik également. Mais quand tu te mets dans cette situation [directeur de studio], c'est mon cas aujourd'hui, il y a tout un brouillard qui se lève enfin, et là, tu comprends mieux qu'il y a des choix éditoriaux à faire pour payer les factures ! Globalement, je dirai que je passe à peu près 30% de mon temps sur ce type d'innovation.
Pourquoi est-ce si important d'innover ?
La survie de la société pousse à faire des micro innovations : par exemple, quand je vois qu'un jeu baisse en chiffre d'affaire, il faut vite trouver quelque chose pour satisfaire les joueurs. Nous pouvons refaire l'interface, ajouter de nouveaux personnages, de nouvelles cartes de jeu, changer la manière de monétiser certains contenus de jeu.
Comment fais-tu pour innover ?
Il faut commencer par cerner le besoin d'innover par rapport à ce que je disais au début : est-ce que c'est un besoin d'empathie, de survie économique de la société ou de technologie ? En fonction de la réponse, je n'aurai pas le même processus itératif. Par exemple, pour un besoin de survie économique, je ne pourrais pas faire autant d'itérations que pour un besoin technologique. C'est facile de reprogrammer 50 fois un prototype, mais pas de faire 50 versions de la société ! Par contre, le principe reste le même : il faut un minimum de réflexions sur l'idée, et très vite la mettre en pratique.
Ce que j'ai appris chez Nintendo, c'est qu'il n'y a pas de document papier de game design comme on les connaît ici, ça n'existe pas : ces documents comportent en général des questions, des problèmes, et ce n'est pas en discutant qu'ils seront résolus. Ce sont en général des problèmes qui font appel aux sciences cognitives, aux modes de fonctionnement du cerveau humain : est-ce que le joueur est capable de voir l'information ; est-ce que nous comprenons les feedbacks des joueurs… Et résoudre cela sur papier, ça ne fonctionne pas. Tu ne fais pas le design d'une montre Apple sur papier : il te faut voir si les composants tiennent dans le boîtier, comment résoudre les problèmes de dissipation de chaleur, etc. Donc il te faut faire, et itérer très vite, le plus vite possible même. Dès que tu as l'idée, il faut vite la prototyper.
Une idée est bonne à partir du moment où elle va être génératrice d'autres idées, c'est-à-dire quand elle va pouvoir être réutilisée 1000 fois (comme les grains de riz sur l'échiquier qui se multiplient par 2 à chaque nouvelle rangée de cases). C'est la combinatoire des possibles associée à une idée qui en fait sa valeur : quand j'ai une idée, je réfléchis tout de suite avec quoi je peux la combiner ; est-ce que je peux mettre un vocabulaire dessus pour la décrire et l'expliquer à d'autres ; est-ce que je peux rassembler autour de cette idée ; est-ce qu'il y aura des choses à dire autour de cette idée ? S'il n'y a pas de réutilisation, de démultiplication de l'idée, c'est que pour la réaliser, il faudra avoir une production de dingue. C'est ce type de méthodes que nous appliquons dans les gros studios pour challenger les idées et voir celles qui ont du potentiel. C'est pour cela que pour les mondes vastes, on préfère le gameplay émergent. C'est assez peu enseigné. Avoir des idées, tout le monde en a, la difficulté, c'est comment les amener dans une production. C'est un peu la méthode de J.K. Rowling, qui disait avoir écrit et conçu Harry Potter dans ses nombreux trajets de train : toutes les idées qui n'ont pas survécues au trajet de train ne sont pas bonnes.
Autre exemple : dans le making of du film Jurassic Park, on peut y voir Steven Spielberg qui essaie tous les 10 ans de faire Jurassic Park, et ça, pendant 20 / 30 ans en fait, et à chaque fois il teste la technologie, et il constate qu'elle ne permet pas de faire Jurassic Park comme il le voit, jusqu'au moment où l'image de synthèse est prête, et il fait son film à ce moment là. Le film était déjà dans sa tête. Même processus avec James Cameron et son film Avatar. Les bonnes idées ont la vie dure.
Auparavant, mon innovation était portée par la nécessité de "sortir un jeu", mais maintenant c'est celle de "faire fonctionner mon entreprise" qui prime. Aujourd'hui je sélectionne mes idées et mes projets par ce filtre là. Il y a des choses que je voudrais faire dans le blockchain par exemple, mais je n'ai pas les moyens de les mettre en oeuvre pour le moment. Donc, je les garde de côté, dans ma tête.
Ce que j'ai appris chez Nintendo, c'est qu'il n'y a pas de document papier de game design comme on les connaît ici, ça n'existe pas : ces documents comportent en général des questions, des problèmes, et ce n'est pas en discutant qu'ils seront résolus. Ce sont en général des problèmes qui font appel aux sciences cognitives, aux modes de fonctionnement du cerveau humain : est-ce que le joueur est capable de voir l'information ; est-ce que nous comprenons les feedbacks des joueurs… Et résoudre cela sur papier, ça ne fonctionne pas. Tu ne fais pas le design d'une montre Apple sur papier : il te faut voir si les composants tiennent dans le boîtier, comment résoudre les problèmes de dissipation de chaleur, etc. Donc il te faut faire, et itérer très vite, le plus vite possible même. Dès que tu as l'idée, il faut vite la prototyper.
Une idée est bonne à partir du moment où elle va être génératrice d'autres idées, c'est-à-dire quand elle va pouvoir être réutilisée 1000 fois (comme les grains de riz sur l'échiquier qui se multiplient par 2 à chaque nouvelle rangée de cases). C'est la combinatoire des possibles associée à une idée qui en fait sa valeur : quand j'ai une idée, je réfléchis tout de suite avec quoi je peux la combiner ; est-ce que je peux mettre un vocabulaire dessus pour la décrire et l'expliquer à d'autres ; est-ce que je peux rassembler autour de cette idée ; est-ce qu'il y aura des choses à dire autour de cette idée ? S'il n'y a pas de réutilisation, de démultiplication de l'idée, c'est que pour la réaliser, il faudra avoir une production de dingue. C'est ce type de méthodes que nous appliquons dans les gros studios pour challenger les idées et voir celles qui ont du potentiel. C'est pour cela que pour les mondes vastes, on préfère le gameplay émergent. C'est assez peu enseigné. Avoir des idées, tout le monde en a, la difficulté, c'est comment les amener dans une production. C'est un peu la méthode de J.K. Rowling, qui disait avoir écrit et conçu Harry Potter dans ses nombreux trajets de train : toutes les idées qui n'ont pas survécues au trajet de train ne sont pas bonnes.
Autre exemple : dans le making of du film Jurassic Park, on peut y voir Steven Spielberg qui essaie tous les 10 ans de faire Jurassic Park, et ça, pendant 20 / 30 ans en fait, et à chaque fois il teste la technologie, et il constate qu'elle ne permet pas de faire Jurassic Park comme il le voit, jusqu'au moment où l'image de synthèse est prête, et il fait son film à ce moment là. Le film était déjà dans sa tête. Même processus avec James Cameron et son film Avatar. Les bonnes idées ont la vie dure.
Auparavant, mon innovation était portée par la nécessité de "sortir un jeu", mais maintenant c'est celle de "faire fonctionner mon entreprise" qui prime. Aujourd'hui je sélectionne mes idées et mes projets par ce filtre là. Il y a des choses que je voudrais faire dans le blockchain par exemple, mais je n'ai pas les moyens de les mettre en oeuvre pour le moment. Donc, je les garde de côté, dans ma tête.
Allez, Frédéric, tu peux m'en dire un peu plus ?
Il faut beaucoup itérer, très très vite, car le jeu va rapidement nous dire s'il veut être ou ne pas être. Tant que tu n'as pas mis à plat ce que tu imagines, tu ne peux pas savoir. Un exemple très simple : prends un jeu sur mobile, donc sur un petit écran de téléphone. Tu peux avoir une idée et quand tu la mets sur l'écran du téléphone, il n'y a pas la place, ou alors ce serait beaucoup trop petit, et les gens ne verraient rien, donc au final, il n'y aura pas de jeu ! Dans ce cas, le jeu ne veut pas être !
Une autre méthode pour challenger les idées, c'est celle des "5 pourquoi ? ". 99% des idées ne sont pas fondées, ne sont pas réfléchies. Cette méthode permet de creuser jusqu'à leur fondement ou de les éliminer avant. Ca n'empêche pas que les idées peuvent aussi survenir sous la douche, en promenade, etc. Pour certaines idées, comme je connais beaucoup de monde dans ce domaine, je m'appuie sur des personnes expérimentées quand c'est vraiment nécessaire. Mais c'est aussi extrêmement important de pouvoir aussi s'adresser à des personnes pas du tout intéressées par le jeu vidéo. Si tu ne t'adresses qu'à des joueurs ("nerd contre nerd"), tu crées des jeux qui bouclent sur eux-mêmes, tu n'en sors pas. Il n'y a pas de sang neuf. Donc, c'est indispensable de s'ouvrir à d'autres personnes externes au monde du jeu vidéo.
Pour avoir du feedback, il faut faire des playtests. Pour le jeu mobile, la salle de playtest, c'est dehors : quand un jeu mobile sort, il n'est pas fini, il va se finaliser avec les joueurs et leurs feedbacks. Bien faire des playtests, c'est un métier très complexe. Il faut avoir des questions et des attentes précises en têtes dont les réponses vont te permettent de vérifier quelque chose. Ensuite, il faut faire attention à la mise en condition, autant au niveau de l'équipe que des participants au playtest. Donc les playtests, c'est une vraie science. Nous en faisons de temps en temps : nous donnons le téléphone à quelqu'un, nous nous mettons derrière lui, et nous lui demandons de décrire tout haut ce qu'il pense, sans aucune censure.
Les playtests sont faits souvents sur des petits projets, et souvent sur des POC. Moins souvent sur les gros projets même si certaines boites sont devenues expertes sur le sujet. Dans les playtests, il faut être prudent avec les questions que l'on pose : c'est comme si vous proposiez à quelqu'un 3 tee-shirts et que vous lui demandiez d'en choisir un parmi les trois. Il va le faire, mais il ne rentrera pas pour autant dans votre magasin pour en acheter un, en fait. C'est pour ça que pousser le test dehors et avoir des analytics [des données à analyser sur le jeu, des données sur le comportement du joueur dans le jeu], c'est très important.
Chez Nintendo, c'était énormément de tests. Pour Shigeru Miyamoto, ça s'appelait même le "kidnapping d'employé" : par exemple, il lui arrivait de demander à une secrétaire, qui était là, de tester un jeu, immédiatement. Quand je bossais au design lab, chez Epic Games, nous avions mis en place des playtests, avec Célia Hodent, une experte en UX [User eXperience, donc expérience utilisateur] et en sciences cognitives : c'est elle, notamment, qui a cleané l'interface de Fortnite. Les choses qui sortent d'un design lab sont très perturbantes. Il nous est arrivé de démontrer que nous avions de réels problèmes sur des jeux en production sans que ce soit suivi de décisions pour changer cela. Ce sont des choses que l'on comprend mieux quand on est du côté entreprise plutôt que du côté du lab.
Une autre méthode pour challenger les idées, c'est celle des "5 pourquoi ? ". 99% des idées ne sont pas fondées, ne sont pas réfléchies. Cette méthode permet de creuser jusqu'à leur fondement ou de les éliminer avant. Ca n'empêche pas que les idées peuvent aussi survenir sous la douche, en promenade, etc. Pour certaines idées, comme je connais beaucoup de monde dans ce domaine, je m'appuie sur des personnes expérimentées quand c'est vraiment nécessaire. Mais c'est aussi extrêmement important de pouvoir aussi s'adresser à des personnes pas du tout intéressées par le jeu vidéo. Si tu ne t'adresses qu'à des joueurs ("nerd contre nerd"), tu crées des jeux qui bouclent sur eux-mêmes, tu n'en sors pas. Il n'y a pas de sang neuf. Donc, c'est indispensable de s'ouvrir à d'autres personnes externes au monde du jeu vidéo.
Pour avoir du feedback, il faut faire des playtests. Pour le jeu mobile, la salle de playtest, c'est dehors : quand un jeu mobile sort, il n'est pas fini, il va se finaliser avec les joueurs et leurs feedbacks. Bien faire des playtests, c'est un métier très complexe. Il faut avoir des questions et des attentes précises en têtes dont les réponses vont te permettent de vérifier quelque chose. Ensuite, il faut faire attention à la mise en condition, autant au niveau de l'équipe que des participants au playtest. Donc les playtests, c'est une vraie science. Nous en faisons de temps en temps : nous donnons le téléphone à quelqu'un, nous nous mettons derrière lui, et nous lui demandons de décrire tout haut ce qu'il pense, sans aucune censure.
Les playtests sont faits souvents sur des petits projets, et souvent sur des POC. Moins souvent sur les gros projets même si certaines boites sont devenues expertes sur le sujet. Dans les playtests, il faut être prudent avec les questions que l'on pose : c'est comme si vous proposiez à quelqu'un 3 tee-shirts et que vous lui demandiez d'en choisir un parmi les trois. Il va le faire, mais il ne rentrera pas pour autant dans votre magasin pour en acheter un, en fait. C'est pour ça que pousser le test dehors et avoir des analytics [des données à analyser sur le jeu, des données sur le comportement du joueur dans le jeu], c'est très important.
Chez Nintendo, c'était énormément de tests. Pour Shigeru Miyamoto, ça s'appelait même le "kidnapping d'employé" : par exemple, il lui arrivait de demander à une secrétaire, qui était là, de tester un jeu, immédiatement. Quand je bossais au design lab, chez Epic Games, nous avions mis en place des playtests, avec Célia Hodent, une experte en UX [User eXperience, donc expérience utilisateur] et en sciences cognitives : c'est elle, notamment, qui a cleané l'interface de Fortnite. Les choses qui sortent d'un design lab sont très perturbantes. Il nous est arrivé de démontrer que nous avions de réels problèmes sur des jeux en production sans que ce soit suivi de décisions pour changer cela. Ce sont des choses que l'on comprend mieux quand on est du côté entreprise plutôt que du côté du lab.
Comment stimulez-vous l'innovation ?
Ce qui est important c'est d'éduquer les personnes à l'innovation. Après, en entreprise, il y a des contraintes de délais qui font que nous ne pouvons pas tester toutes les idées. D'où l'intérêt d'aller voir des experts d'un domaine en particuliers à certains moments.
Par exemple, c'est très intéressant de discuter avec un médecin à propos d'un jeu. Avec un artiste. Un musicien. Chacun apportera vraiment quelque chose de neuf et de riche, dans son domaine d'expertise, qui te permettra d'aller très loin. Donc, avant de demander de l'innovation aux personnes de l'entreprise, le plus important c'est de stimuler l'éducation à l'innovation : est-ce que ces personnes comprennent déjà ce que nous faisons ? Par exemple, si tu me donnes des idées de jeux pour pc ou consoles alors que nous fabriquons des jeux pour le mobile, ce sera un vrai problème. Tu dois d'abord commencer par bien comprendre comment fonctionne un mobile. Et c'est aussi important de décomposer des jeux existants pour les comprendre : ce n'est pas parce que tu aimes un jeu que tu sais y jouer et encore moins que tu comprends comment il fonctionne.
C'est ce que je fais avec les étudiants, par exemple, j'essaie de les aider à "lire" les jeux. Un jeu qui fonctionne, c'est quelque chose dont il faut se méfier. Mais c'est vrai pour tout. Quand ça parait simple, c'est que derrière, il y a souvent des trucs de fous.
J'enseigne à e-artsup, donc je suis au contact du monde académique. Je l'ai toujours fait, j'aime beaucoup ça, et je veux prévenir les étudiants. Nous avons du mal à trouver des mentors aujourd'hui. Notre système éducatif ne leur apprend pas assez à apprendre. Parce que l'école n'arrive pas à les intéresser, ils vont chercher ailleurs. Ils font ce que font les adultes qui ont un job pas intéressant, ils se mettent devant la télé, youtube et Cie.
Une des clés, c'est de pouvoir dégager toute cette crasse, en leur proposant l'accès à la vraie connaissance, à la pratique par soi-même : comment coller deux parois de verres sans faire de bulles, comment marche ce bouton en verre [le bouton rond de l'iphone].
Du coup, dans mes interventions, je leur montre ce qu'est un transistor, je leur explique ce qu'est un Hertz, j'ai un kit de ZX81 [un ordinateur personnel 8 bits commercialisé par Timex Corporation en mars 1981, dont le boîtier était noir avec un clavier à membrane], je leur montre ce qu'est un canon à électron…
J'essaie de les éduquer dans leur processus de réflexion. Parce que sinon il réinvente Pacman, et ce n'est pas la peine de réinventer des choses qui existent. Par contre, c'est important de comprendre Pacman : est-ce que tu comprends pourquoi Pacman fonctionne ? Est-ce que tu comprends les sentiments vécus dans ce jeu : le sentiment de peur d'être mangé, celui de la revanche ? Est-ce que tu sais qu'il y a de l'assistance dans les contrôles pour que tu puisses prendre des virages à 90° ? Non, tu ne le sais pas. D'où l'intérêt d'apprendre les bases, de voir les choses derrières les choses.
Si tu ne fais pas ça, tu ne seras que consommateur. Comme mon background c'est l'informatique et l'électronique, je stimule ma propre innovation en me tenant au courant de tout ce qui se passe dans ces deux domaines. Tu as des sites comme Science Daily, où tu as des pages et des pages de vraies informations scientifiques basées sur des articles. Avec ce site, par exemple, tu as accès à la source de l'information.
Par exemple, c'est très intéressant de discuter avec un médecin à propos d'un jeu. Avec un artiste. Un musicien. Chacun apportera vraiment quelque chose de neuf et de riche, dans son domaine d'expertise, qui te permettra d'aller très loin. Donc, avant de demander de l'innovation aux personnes de l'entreprise, le plus important c'est de stimuler l'éducation à l'innovation : est-ce que ces personnes comprennent déjà ce que nous faisons ? Par exemple, si tu me donnes des idées de jeux pour pc ou consoles alors que nous fabriquons des jeux pour le mobile, ce sera un vrai problème. Tu dois d'abord commencer par bien comprendre comment fonctionne un mobile. Et c'est aussi important de décomposer des jeux existants pour les comprendre : ce n'est pas parce que tu aimes un jeu que tu sais y jouer et encore moins que tu comprends comment il fonctionne.
C'est ce que je fais avec les étudiants, par exemple, j'essaie de les aider à "lire" les jeux. Un jeu qui fonctionne, c'est quelque chose dont il faut se méfier. Mais c'est vrai pour tout. Quand ça parait simple, c'est que derrière, il y a souvent des trucs de fous.
J'enseigne à e-artsup, donc je suis au contact du monde académique. Je l'ai toujours fait, j'aime beaucoup ça, et je veux prévenir les étudiants. Nous avons du mal à trouver des mentors aujourd'hui. Notre système éducatif ne leur apprend pas assez à apprendre. Parce que l'école n'arrive pas à les intéresser, ils vont chercher ailleurs. Ils font ce que font les adultes qui ont un job pas intéressant, ils se mettent devant la télé, youtube et Cie.
Une des clés, c'est de pouvoir dégager toute cette crasse, en leur proposant l'accès à la vraie connaissance, à la pratique par soi-même : comment coller deux parois de verres sans faire de bulles, comment marche ce bouton en verre [le bouton rond de l'iphone].
Du coup, dans mes interventions, je leur montre ce qu'est un transistor, je leur explique ce qu'est un Hertz, j'ai un kit de ZX81 [un ordinateur personnel 8 bits commercialisé par Timex Corporation en mars 1981, dont le boîtier était noir avec un clavier à membrane], je leur montre ce qu'est un canon à électron…
J'essaie de les éduquer dans leur processus de réflexion. Parce que sinon il réinvente Pacman, et ce n'est pas la peine de réinventer des choses qui existent. Par contre, c'est important de comprendre Pacman : est-ce que tu comprends pourquoi Pacman fonctionne ? Est-ce que tu comprends les sentiments vécus dans ce jeu : le sentiment de peur d'être mangé, celui de la revanche ? Est-ce que tu sais qu'il y a de l'assistance dans les contrôles pour que tu puisses prendre des virages à 90° ? Non, tu ne le sais pas. D'où l'intérêt d'apprendre les bases, de voir les choses derrières les choses.
Si tu ne fais pas ça, tu ne seras que consommateur. Comme mon background c'est l'informatique et l'électronique, je stimule ma propre innovation en me tenant au courant de tout ce qui se passe dans ces deux domaines. Tu as des sites comme Science Daily, où tu as des pages et des pages de vraies informations scientifiques basées sur des articles. Avec ce site, par exemple, tu as accès à la source de l'information.
Un petit scoop, sur le futur proche ?
La sortie de notre jeu Battle.GG. Un jeu rapide, fun, un croisement entre Clash Royale et Splatoon ! Un autre titre, très original, avec des créatures procédurales, fun à voir et à jouer. Et bien d'autres encore : )
Merci Frédéric, d'avoir partagé ta vision sur l'innovation.
#ParlonsDInnovationAvec