Gilles Anziani de Realition
Interview du 28 septembre 2018 réalisée par rOmain Thouy à Montpellier
7ème article d'une série d'interviews réalisés sur la gestion de l'innovation dans le domaine des industries créatives (jeux vidéo, films d'animation) de notre région (ndlr : l'Occitanie).
Gilles Anziani, CEO de Realition, qui édite Realie, une plateforme web qui accompagne les créateurs de productions 3D. Dans l'entreprise, Gilles s'occupe de la vision, de la gestion, du business, de l'administration, de la communication, bref, de tout ce qui ne concerne pas la partie technique, qui elle est assurée par Aurélien Peronnet, CTO.
Formation : Licence de Mathématique & Physiques, BTS de commerce international (IDRAC), Du en logistique.
- son 1er projet : magasin de prêt à porter (anciennement Hype galery et maintenant Barnabé)
- son 1er gros succès : À jour de mes cotisations URSSAF
- son dernier gros succès : La mise en place de partenariats avec des écoles de 3D française
"Le nom de la plateforme "Realie" vient de "Réalisation" et de "Réalité", avec une sonorité anglo saxonne, le nom de domaine en xyz est parfait pour le côté 3D (repère dans l'espace)."
"Avec Realie, nous souhaitons amener des outils digitaux qui jusqu'à présent font défaut aux créateurs. Si les logiciels de créations se sont grandement améliorés ces dernières années, au point de rendre le photo-réalisme monnaie courante, les outils qui permettent de piloter une production ne sont que très peu pris en considération pour cette industrie.
Pour cela, Realie propose les fonctionnalités suivantes :
"Avec Realie, nous souhaitons amener des outils digitaux qui jusqu'à présent font défaut aux créateurs. Si les logiciels de créations se sont grandement améliorés ces dernières années, au point de rendre le photo-réalisme monnaie courante, les outils qui permettent de piloter une production ne sont que très peu pris en considération pour cette industrie.
Pour cela, Realie propose les fonctionnalités suivantes :
- La gestion de production : pour travailler seul ou à plusieurs, les" studios virtuels "de Realie sont des environnements où sont centralisés tous les besoins en terme de communication (interne & externe), de partage d'information, de transfert de fichiers et de gestion de workflow.
- La visibilité : Realie se base sur un réseau social professionnel, un" LinkedIn de la 3D ", qui permet de présenter aussi bien son parcours, que ses réalisations. La plateforme supporte la quasi-totalité des formats de médias produits. Il est donc possible de présenter des visuels, de la 3D temps réel (Sketchab/Marmoset), des animations (Youtube/Dailymotion/Vimeo) mais aussi des jeux vidéo ou expériences AR/VR grâce à un système d'iframe.
- La mise en relation : que ce soit au travers d'annonces pour des stages, de concours, ou bien encore de projets collaboratifs publics, Realie permet de rapprocher les compétences et les talents."
Bonjour Gilles, tout d'abord, comment définis-tu l'innovation dans ton domaine ?
Bonjour rOmain. Notre innovation se base sur la recherche d'optimisation du processus de création, et consiste à ne pas perdre du temps sur des éléments du processus qui n'ont pas de valeur.
Il faut couper court à tous ces processus parasites qui n'ont pas lieu d'exister et qui ralentissent la création, autant artistique que pour d'autres valeurs dans une entreprise. Donc l'innovation dans mon domaine, c'est d'amener les bons outils digitaux qui vont permettre de laisser libre court à la partie création qui est censée être le coeur de métier de chaque acteur de la 3D. Nous ne pouvons pas dire que nous sommes sur une innovation de rupture technique , mais nous sommes plutôt sur une innovation d'usage, de méthodologie. Nous proposons de centraliser et d'adapter des outils utilisés dans d'autres domaines pour celui de la 3D, c'est-à-dire les jeux vidéo et les films d'animation, afin de faciliter et simplifier le travail de ses acteurs.
Comment portes-tu cette innovation ?
Il n'y a pas de stratégie pure d'innovation, mais il y a par contre une vision, doublée d'une ambition. Je l'ai depuis le début et c'est moi qui la porte. Je m'occupe de la vision à long terme et mon associé m'aide à la réaliser, brique par brique. Et il y a bien sur des briques qui viennent de lui. Je ne suis pas avec quelqu'un pour lui imposer ce qu'il a à faire car il a une réelle expertise qu'il apporte au projet. Cette vision est portée en permanence : je prends du temps à réfléchir à ce que fait la concurrence, à discuter avec des professionnels de mon domaine. La recherche d'innovation est omniprésente. et elle me nourrit !
Pourquoi est-ce si important d'innover ?
L'écosystème que j'adresse est plutôt petit, spécialement l'écosystème logiciel où il n'y a pas beaucoup d'acteurs. Par contre, cet écosystème a beaucoup de potentiel. Les outils de création sont très puissants, s'améliorent constamment, donc la partie création est performante. Par contre, ce n'est pas le cas des parties pilotage et suivi de production. Si on observe le marché, il y a 2 principaux acteurs, Ftrack et Shotgun. Ce sont des machines de guerre, entièrement customisable, qui coûtent très cher, et qui ne sont pas adaptées à toutes les productions. Il doit y avoir 80% des productions qui n'utilisent pas ces deux solutions. Par contre, les gros studios les utilisent. A côté de cela, il y a les outils généralistes : google, trello, jira, asana. Avec Realie nous nous positionnons au milieu, le paysage concurrentiel direct n'est pas énorme et nous sommes tous au même stade.
Comment fais-tu pour innover ?
Je suis cartésien, donc j'ai besoin de me confronter à ce qui existe. Tout au long de la semaine, je suis en veille, j'observe et je réfléchis. Je regarde ce que fait la concurrence, je cherche s'il y a de nouveaux produits qui sortent, même la concurrence indirecte, comment les solutions sont perçues par les utilisateurs. Je me renseigne sur les studios, les freelances, les écoles, comment ils travaillent, les relations qu'ils ont avec leurs clients, avec l'équipe interne, avec les collaborateurs externes au studio. J'en rencontre une partie, régulièrement, et je me documente beaucoup (réseaux sociaux, forums). Il y a beaucoup de personnes bienveillantes, que j'arrive à rencontrer.
Au Bic, j'ai participé au "Jump'In Creation" qui m'a un peu aider sur la partie innovation. Au quotidien, je note tout au crayon dans un carnet en papier. J'ai besoin de raturer, c'est important. Je note beaucoup d'idées, je fais des mockup [en informatique, le terme mock-up (qui vient du même mot anglais qui signifie une maquette à l'échelle 1 : 1) désigne un prototype d'interface utilisateur] ; puis je laisse mûrir. Je fais mon travail de veille autour de mon idée, et je cherche toujours la valeur que cela apporte à l'utilisateur final. Je ne passe pas d'une idée à sa réalisation immédiatement. Je laisse toujours du temps.
A un instant T, dans mon calepin, j'ai en gros, une cinquantaine d'idées !
A un instant T, dans mon calepin, j'ai en gros, une cinquantaine d'idées !
Avant la version beta de Realie, je triais mes idées de la façon suivante : je prenais le quotidien d'un professionnel de la 3D, j'étudiais ce qu'il avait à faire dans la journée, et je venais greffer des fonctionnalités à ma plateforme, pour répondre à ses besoins, dans une même plateforme disponible et performante. J'ai donc trié mes idées suivant cette priorité pour élaborer la version beta.
Maintenant que cette version est réalisée, j'ai toujours la possibilité de venir rajouter des outils. Comme on a pratiquement arrêté notre périmètre pour cette version beta (nous ne pouvons pas indéfiniment rajouter ou enlever des fonctionnalités), nous nous focalisons maintenant sur l'expérience utilisateur : nos outils doivent impérativement être facile d'utilisation. C'est-à-dire qu'à partir de maintenant, les fonctionnalités que nous rajoutons doivent impérativement rentrer dans ce cadre là, donc améliorer et faciliter l'expérience utilisateur.
Ensuite, je discute de mes idées avec mon associé : est-ce que c'est faisable, à quelle échéance, est-ce que cela amène une vraie valeur ajoutée par rapport au produit en cours. Nous discutons donc tous les deux pour les grosses fonctionnalités ; pour les plus petites, c'est souvent lui qui va me les proposer. J'ai un rôle de product owner et je négocie avec mon CTO.
Ensuite, je discute de mes idées avec mon associé : est-ce que c'est faisable, à quelle échéance, est-ce que cela amène une vraie valeur ajoutée par rapport au produit en cours. Nous discutons donc tous les deux pour les grosses fonctionnalités ; pour les plus petites, c'est souvent lui qui va me les proposer. J'ai un rôle de product owner et je négocie avec mon CTO.
Il n'y a pas de journée ou de rendez-vous dédiés à ces échanges. Les idées mûrissent dans le calepin, et je les sors en fonction de l'avancement de l'activité. Il y a certaines idées qui sont évidentes pour moi, et donc elle restent "en surface". Et j'ai en permanence, pour filtrer les idées et les prioriser, le ratio temps de développement vs valeur que cela apporte dans le workflow des créateurs 3D, je compose tout le temps avec ce ratio.
Je fais appel à un groupe d'utilisateurs que je sonde de temps en temps sur certaines fonctionnalités, notamment sur leur expérience d'utilisateur. Ce groupe n'est pas énorme et parmi eux, j'ai beaucoup d'étudiants, qui sont des futurs professionnels donc pas encore expérimentés. Je fais des debriefs régulièrement avec eux : tous les 2 à 3 mois, ce qui correspond à notre délai d'itération sur la plateforme pour une bonne mise à jour de version. Pour avoir leurs retours utilisateurs, soit je les réunis, soit j'utilise directement le formulaire de contact de la plateforme. Cela peut être fait aussi sous forme de retours de bugs. Et sinon je me déplace pour aller les voir.
Avec mon associé, nous travaillons à la fonctionnalité, nous les développons une par une. Je lui soumets des fonctionnalités à développer, on en discute, en général, il baisse la valeur de ma fonctionnalité par 3 ou 4, parce que si je la prends telle quelle elle sera trop longue à développer, donc il me mets des barrières réalistes, mais je lui demande tout le temps de garder en tête la vision que je lui ai donnée au départ, même s'il n'en développe qu'une petite partie. Et je lui demande de la coder de façon à laisser la possibilité de développer la suite de la fonctionnalité. Il n'y a donc pas de périodicité, ça peut aller de 3 jours de développement à 1 mois entier. Nous faisons un point avant la fin du développement en cours, pour prévoir le suivant. Nous sommes une petite équipe, d'où ce fonctionnement particuliers.
Allez, Gilles, tu peux m'en dire un peu plus ?
Au début, j'ai appliqué une démarche de Lean Startup (il s'agit d'une approche spécifique du démarrage d'une activité économique et du lancement d'un produit qui repose sur la vérification systématique de la validité des concepts, au moyen de l'expérimentation scientifique, du design itératif et qui tend à réduire les cycles de commercialisation des produits, en mesurant régulièrement les progrès réalisés, et à obtenant des retours de la part des utilisateurs), inspiré du livre de Ash Maurya, qui m'avait été conseillé par ma chargée d'affaire d'Innov'Up. Cela m'a bien aidé pour démarrer, et co-construire mon produit avec des utilisateurs. Toute ma première étude de marché, que j'avais faite tout seul auprès d'une centaine d'infographistes 3D a été réalisée suivant cette méthode : un questionnaire précis pour identifier les points de difficultés rencontrés par les infographistes dans leurs usages des outils, pour déterminer ce qui fonctionnait bien ou moins bien. Il y avait aussi quelques matrices intéressantes pour "designer" les fonctions que je voulais réaliser.
Nous ne faisons pas de prototypage, et c'est peut être un problème. Par exemple, pour la sortie de notre v1, nous allons du coup être obligé de couper dans le gras. Nous avons créé des fonctionnalités qui s'intègrent mal dans l'expérience utilisateur ou sur l'homogénéité du produit que nous proposons. Nous l'avons détecté grâce aux retours utilisateurs. Un autre exemple : chaque fonctionnalité proposée repose sur une application dédiée, et les applications sont séparées. C'est un choix technique d'architecture fondamental de la plateforme, car nous sommes sur un secteur d'activité où il y a beaucoup de propriété intellectuelle et nous avons besoins de sécurité pour l'assurer. Ce besoin de sécurité se traduit par du code sécurisé, qui diminue le degré d'intégration des applications entre elles. Donc une application à forte valeur ajoutée, du fait des restrictions de sécurité nécessaire dans le code, peut voir son implémentation dans la plateforme fortement réduite, donc au final, sa valeur diminuée, et du coup, elle sera peut être retirée de la plateforme. Pour nous aider à faire les bons choix, j'aimerai bien avoir un panel d'utilisateurs plus étoffé.
Comment stimulez-vous l'innovation chez Realition ?
Comme je l'ai dit, je passe beaucoup de temps à réfléchir, donc je m'auto alimente, je m'auto stimule. Je ne fais pas d'actions particulières pour stimuler l'innovation chez mon associé. Il est plus dans l'opérationnel, dans l'efficace. Donc je l'inonde d'idées, de propositions dont nous débattons ensuite, comme je l'ai expliqué tout à l'heure. Nous restons dans le mode "je propose les grosses fonctionnalités" et lui, qui a les pieds sur terre, il me répond sur comment les intégrer, combien ça "coûte" pour le faire, et ce que ça rapporte en valeur à l'utilisateur. Il est un peu le garde fou de ma créativité ! Il n'intervient pas directement sur la vision majeure du projet.
J'ai aussi beaucoup d'amis codeurs, qui font beaucoup de veille de leur côté, et je discute beaucoup avec eux, plutôt de façon informelles. C'est assez stimulant ! Par exemple, tout au début, j'avais fait faire un prototype de l'architecture par un bon ami à moi, passionné et très expert (il s'appelle Florian Schmitt).
Je stimule aussi mon innovation par des recherche sur le net, les réseaux professionnels, les forums. J'ai participé récemment à une conférence organisée par Sud Piccel, qui avait invité Christophe Meslin, chef du support systèmes de Framestore (studio d'animation londonien), que j'ai trouvé très inspirant par rapport à son retour d'expérience sur les grosses productions. Je l'ai contacté pour avoir du feedback sur ma plateforme et j'espère qu'il voudra l'essayer !
En fait, je ne vois pas vraiment de concurrent autour de moi, mais plutôt des potentiels partenaires, avec qui je pourrais très bien collaborer pour améliorer notre offre. Récemment, j'ai trouvé quelqu'un qui propose aussi des outils de gestion de production mais avec un angle d'attaque différent du mien mais qui pourrait tout à fait être complémentaire. Je lui ai proposé de travailler ensemble.
Un petit scoop, sur le futur proche ?
Grâce à notre incubation à Ionis361 ainsi qu'à la mise en place de partenariats avec des écoles de 3D la beta se terminera dans très peu de temps. Nous prévoyons le lancement officiel de la V1 de Realie avant la fin de cette année. 2019 va être une année très excitante pour nous.
Merci Gilles, d'avoir partagé ta vision sur l'innovation.
#ParlonsDInnovationAvec