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lundi 10 septembre 2018

Parlons d'innovation avec...

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Audrey Leprince, du studio The Game Bakers

Interview du 6 juillet 2018 réalisée par rOmain Thouy à Montpellier


Audrey LeprinceSecond article d'une série d'interviews réalisés sur la gestion de l'innovation dans le domaine des industries créatives (jeux vidéo, films d'animation) de notre région [ndlr : l'Occitanie].

Audrey Leprince, s'occupe de la production exécutive du studio The Game Bakers, qu'elle a fondé avec Emeric Thoa il y a maintenant 8 ans.
Formation : grande école de commerce, puis nombreuses expériences comme game designer, productrice chez Ubisoft.
"The Game Bakers est un studio indépendant, qui fabrique des jeux que nous essayons de rendre le plus mémorable possible, pour que les joueurs s'en souviennent et que ''ça leur fasse une expérience forte''
Quand j'ai commencé dans le jeu vidéo, je me souviens, mon premier salaire était moins élevé que ma dernière indemnité de stage, c'était assez drôle !
"
  • son 1er jeu : Omikron Nomad Soul de Quantic Dream
  • son 1er gros succès : à part les jeux de Quantic et Ubisoft, Squids
  • son dernier gros succès : Furi

Bonjour Audrey, tout d'abord, comment définis-tu l'innovation dans ton domaine ?

Bonjour rOmain ! Notre innovation, c'est de créer des jeux qui proposent une expérience différente, quelque chose dont on se souvient. Nos jeux ont aussi des gameplay innovants, qui n'ont pas été faits exactement tels quels ailleurs. C'est notre directeur créatif, Emeric Thoa, qui apporte ça, et ensuite nous essayons de pousser tous les aspects de la production au maximum pour marquer le caractère unique du jeu (histoire, musique, direction artistique, etc.). On peut dire que nous faisons de l'innovation éditoriale radicale !

Comment cette innovation est-elle portée dans le studio ?

Nous sommes des créateurs indépendants : sans innovation, nous n'existons pas ! Le marché du jeu indépendant est porté par la créativité des jeux, donc il faut être très bon en innovation/création et en réalisation pour pouvoir exister et durer. Ce marché est saturé d'offres. Depuis l'ouverture des stores mobiles et des plateformes comme Steam, les joueurs ont accès à une profusion de contenus de qualité pour un prix très faible. Qui plus est il y a de plus en plus de compétition sur l'occupation du temps de loisir de notre audience, Netflix par exemple a pris une grosse part du temps des joueurs. Notre stratégie d'innovation s'appuie sur notre directeur créatif, Emeric Thoa. C'est lui qui conçoit les jeux, les gameplays, les univers, la proposition. Ensuite il travaille avec notre équipe pour concrétiser cette proposition et la rendre encore meilleure.

Pourquoi est-ce si important d'innover ?

Parce que notre ADN, c'est de réaliser des jeux qui apportent quelque chose de nouveau ou de différent, une expérience qui va interpeller un public de joueurs bien identifié. Nous innovons pour une niche de joueurs ; nous n'avons pas la vocation de plaire à tout le monde.
Nos jeux, nous mettons au moins 2 ans à les réaliser : tu peux considérer que sur ces 2 ans, nous passons 1 an sur la conception et 1 an sur la réalisation. Donc, nous passons au moins 50% de notre temps à faire de l'innovation ! Mais comme c'est de l'innovation éditoriale, on ne peut pas la valoriser, et on n'a pas droit au CIR ! Mais il n'y a pas que l'innovation éditoriale qui est importante : ont doit doit également innover pour marketer nos jeux, ou pour trouver des financements et boucler nos budgets. Enfin, toute notre organisation est aussi innovante, puisque notre studio travaille avec une équipe en majorité à distance, dans plusieurs pays différents !

Comment faites-vous pour innover ?

Nous n'avons pas encore assez de moyens humains et financiers pour incuber plusieurs idées de jeux à la fois, donc nous sommes obligés d'en choisir une, la meilleure, de se mettre dessus et de la sortir. Si je devais décrire notre processus d'innovation, je dirais qu'il démarre d'une réflexion entre Emeric et moi : lui, il fait tout seul le matin, dans sa douche, le tri de ses idées, en estimant celles qui sont les plus fortes, les plus persistantes, celles qui ont le meilleur potentiel business et celles qui seront les plus adaptées à notre équipe. Nous avons eu des idées qu'on aimerait développer mais pour lesquelles nous savions que nous n'étions pas assez bons. Par exemple, j'aimerais faire du jeu multiplayer, mais notre organisation actuelle, le fait qu'on travaille à distance, rend très compliquée la réalisation de ce type de jeu. Pour garder une idée de jeu et une seule, nous faisons un tri en croisant les trois axes suivant : la puissance de l'expérience de jeu proposée (l'innovation éditoriale), l'opportunité business et marketing, et enfin la capacité à faire de l'équipe.

Allez, Audrey, tu peux m'en dire un peu plus ?

Nous devons rester connecté à la réalité marché (notre fameux second axe : -) : avec les attentes des joueurs. C'est un axe de décision très important. Nous estimons la taille de la niche de joueurs que nous pensons toucher, pour que le projet soit viable et qu'il soit un succès. La difficulté, c'est qu'on est complètement à l'aveugle sur cette démarche, car nous n'avons pas connaissance des chiffres de vente des jeux de la concurrence. Nous n'avons pas accès aux chiffres de ventes consoles, et avec les changements de Steamspy qui donnait des informations sur les ventes PC, nous avons encore moins d'information. Pour faire notre analyse de marché, nous scrutons les jeux semblables aux nôtres.
Tu me demandes ce qu'il en est de l'innovation technologique. A Game Bakers nous estimons que l'innovation technologique n'a qu'un rôle secondaire. Un moteur comme Unity nous permet de livrer l'expérience que nous visons. On cherche surtout à pousser de l'innovation de contenu et d'expérience.

Comment stimulez-vous l'innovation chez The Game Bakers ?

Je crois que pour Emeric comme pour moi, on stimule notre innovation en nous donnant du temps pour jouer, regarder des séries ou des films, lire, et rester dans notre culture. Et en restant autant que possible heureux et en bonne santé : ce sont les meilleurs critères pour faire de bons jeux ! Nous l'avons vraiment vécu, quand on se met trop de stress ou que l'on travaille trop, on n'y arrive pas. Nous restons très au fait de notre marché : par exemple, Emeric a lancé ''Nostreasteamus'' un petit concours entre nous deux, pour estimer, en 1 mois, combien de ventes un jeu va faire sur Steam. Enfin, nous sommes présents sur les réseaux sociaux, nous faisons les principaux salons pour suivre les meilleurs pratiques de l'industrie et les attentes des joueurs.
Pour la créativité de l'équipe, c'est plus difficile à dire car c'est très personnel. Mais nous avons un environnement de travail particulier à Game Bakers. Deux points notamment : 1-Nous ne demandons pas d'exclusivité. Par exemple nous avons un de nos salariés, qui travaille avec nous depuis 5 ans, qui a monté sa boîte de jeu vidéo et fait son propre jeu ! Et si on peut l'aider, on l'aide ! On aimerait bien pouvoir passer un jour par semaine sur d'autres idées et projets, ou avoir un projet B, non prioritaire, sur lequel on pourrait travailler en même temps que le projet A. 2-Nous laissons la liberté aux membres de notre équipe pour travailler où ils veulent : par exemple, je vis en Suède, ou nous avons deux ingénieurs qui travaillent au fin fond de la campagne, et notre directeur artistique vient de partir pour un an au Canada et en Australie. Je pense que de pouvoir choisir son environnement de travail, ça nourrit le bien-être et la créativité.

Un petit scoop, sur le futur proche ?

On lance nos premiers jeux de Game Bakers, nos aventuriers Squids dans une belle compilation avec tout le contenu et beaucoup d'améliorations sur de nouvelles plateformes. Il vient de sortir sur Nintendo Switch et il sort le 5 septembre sur Steam.

Merci Audrey, d'avoir partagé ta vision sur l'innovation.

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